Le 22 décembre 2018, un mois après que le Parlement ait adopté la loi « anti fake news » malgré les deux rejets consécutifs du Sénat, le Conseil constitutionnel validait son entrée en vigueur. Elle avait été jugée inefficace par l’opposition voire potentiellement dangereuse pour la liberté de la presse. Il semblerait que l’événement de la Pitié-Salpêtrière leur ait donné raison. Morgane Daury-Fauveau, Présidente du CERU, professeure de droit et Directrice de l’Institut d’Etudes Judiciaires d’Amiens, revient sur cette loi et nous explique sa difficile application.
Pour sauver la démocratie, et rétablir le « vrai » et le « juste », Emmanuel Macron s’est posé en héraut de la lutte contre les « fake news ». Six mois de discussions parlementaires laborieuses auront été nécessaires pour que la volonté présidentielle soit faite et que la loi contre « la manipulation de l’information » en période électorale soit enfin adoptée le 22 décembre 2018.
Malheureusement, les coups de menton font rarement de bonnes lois, et il aura suffi d’un seul contentieux pour que ce texte vole en éclats.
Le premier mai, alors que la campagne des élections européennes entre dans sa dernière ligne droite, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, publie un tweet, affirmant : « Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République ».
Une députée européenne et un sénateur communiste, estimant que la situation décrite par le ministre était mensongère, ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris en référé pour que celui-ci ordonne la suppression du tweet, sur le fondement de l’article L. 163-2 du code électoral, issu de la loi nouvelle.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu sa décision le 17 mai dernier et a rejeté la demande.
La décision, la première à faire application de la nouvelle disposition, est intéressante en ce qu’elle démontre l’inapplicabilité du texte.
Il faut dire que les discussions parlementaires sur la définition même des fake news laissaient augurer des difficultés qui n’allaient pas manquer de se poser.
Ainsi, en première lecture, la proposition de loi avait repris la définition de la commission des lois de l’Assemblée nationale, aux termes de laquelle il s’agissait de « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ».
Toute information n’étant pas nécessairement vérifiable, le métier a été remis sur l’ouvrage pour aboutir à une splendide tautologie : « Toute allégation ou imputation d’un fait, inexacte ou trompeuse, constitue une fausse information », car en effet, une information fausse est une fausse information. Devant le tollé suscité par cette dernière définition, les députés ont à nouveau revu leur copie et, persuadés que la longueur d’un texte est révélateur de sa précision, il a finalement été décidé que constituent des fausses informations, « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». C’est donc cette formulation qui a été retenue dans les articles L. 163-1 (qui impose des obligations de transparence aux opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité dépasse un seuil déterminé de nombre de connexions sur le territoire français) et L. 163-2 du code électoral (qui instaure la nouvelle une procédure de référé pour obtenir la cessation de la diffusion de ces fausses informations). Et c’est elle qui a fait l’objet de réserves du Conseil constitutionnel.
Dans sa décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018, le Conseil constitutionnel explicite l’article L. 163-2 du code électoral en considérant que la procédure de référé « ne peut viser que des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ou imputations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective ».
En outre, le Conseil constitutionnel évite un débat qui n’aurait sans doute pas manqué de surgir en soulignant que la diffusion des fausses nouvelles ne peut être mise en cause que si elle répond à trois conditions (elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée) qui sont cumulatives.
Enfin, les sages énoncent explicitement une réserve d’interprétation aux termes de laquelle ils ajoutent une condition : le caractère inexact ou trompeur des allégations ou imputations litigieuses ainsi que le risque d’altération de la sincérité du scrutin doivent être manifestes.
Le TGI de Paris a soigneusement énoncé et fait application des enseignements de la décision du Conseil constitutionnel. Tout d’abord, les juges du fond relèvent que le message du ministre de l’Intérieur est exagéré, mais pas dénué de fondement, de telle manière que l’information délivrée ne peut être considérée inexacte ou trompeuse. Ensuite, aucun procédé de diffusion artificiel ou automatisé (tels que le paiement de tiers chargés d’étendre la diffusion ou le recours à des « bots ») n’a été utilisé.
Enfin et surtout, le tweet a déclenché un débat et les propos du ministre ont été immédiatement contestés de telle manière, dit le tribunal, que « des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation ».
Il n’y a donc pas de risque manifeste d’altération de la sincérité du scrutin.
On comprend donc que dès qu’une fausse nouvelle diffusée est disséquée analysée, critiquée, en un mot, débattue, la condition d’altération du scrutin n’est pas établie. Or, il n’est pas une nouvelle, vraie, ou fausse, diffusée sur les réseaux sociaux, qui ne soit pas commentée, scrutée, discréditée, à part, sans doute, en Chine…
Nous venons donc d’assister à l’enterrement de l’article L. 163-2 du code électoral. Nous ne sommes pas en Chine. C’est une vraie nouvelle, et sommes toutes, plutôt bonne.
Morgane Daury-Fauveau
Présidente du CERU, le labo d’idées universitaire
Professeure de droit privé
Directrice de l’Institut d’Etudes Judiciaires d’Amiens