République souveraine choisit le non-alignement et critique les dérives du Nouveau Front Populaire ainsi que du Rassemblement National. Cet article offre une analyse profonde et détaillée des enjeux actuels de la gauche française, mettant en lumière les contradictions et les promesses non tenues de ces alliances politiques.
Entre deux déconvenues annoncées, République souveraine choisit le non-alignement.
La fumée blanche s’échappe du toit de la Maison de la chimie… Soudain, un cri retentit à travers le pays : habemus programmam !
Dans le peuple de gauche, chacun écoute la conférence de presse, lit les recensions. La première impression est flatteuse : du social, rien que du social ! Plus question d’antisionisme, d’abrogation de la loi interdisant le voile à l’école, de décolonialisme. Lorsqu’il s’agit de gagner des élections en position de faiblesse, la gauche semble réaliser que ses délires à la mode, destinés à séduire une sociologie étroite des villes et de leurs banlieues, ne sont pas les meilleurs arguments pour parler au plus grand nombre.
Le « peuple de gauche », comme pendant la période de la protestation contre la réforme des retraites, va de nouveau communier dans un combat qui le rassemble dans une certitude rassurante : être sûr de se battre pour le bien des travailleurs. Chacun se prend à rêver : comme ce serait bien, si les cantines et le périscolaire étaient gratuits ! Si l’hôpital recommençait à fonctionner, si la destruction néolibérale du système de solidarité et des services publics étaient enfin enrayée !
Mais rapidement, la fumée blanche noircit… À cause du programme, d’abord.
Certains points sont délirants. Tout en proclamant « une diplomatie française au service de la paix », et en adoptant, concernant le Proche-Orient, une position équilibrée autour du cessez-le-feu immédiat, le « nouveau front populaire » s’est visiblement converti aux positions bellicistes de Raphaël Glucksmann au sujet de l’Ukraine. Étrange façon de promouvoir la paix que de pousser à l’affrontement jusqu’au dernier Ukrainien. Comment la gauche française, héritière de Jaurès, peut-elle en arriver là ?
Concernant l’immigration, le programme tourne le dos à ce que pensent non seulement la majorité des Français, mais également la majorité des électeurs de gauche, qui réclament simplement plus de contrôle, et donc plus de régulation. Est-ce réellement la meilleure manière de lutter contre l’extrême-droite que de présenter aux électeurs une caricature « no border » comme seule réponse au sujet migratoire ? Des ambiguïtés se cachent également dans les proclamations de lutte contre l’islamophobie : est-ce à dire qu’il deviendra interdit de critiquer les islamistes ?
Mais c’est avant tout la logique générale du programme qui, loin du nouveau souffle espéré par François Ruffin, reste rigoureusement identique à celle qui fait perdre la gauche depuis 1983.
Comme elle a renoncé à toute remise en question de la globalisation néolibérale et de sa mise en pratique par les traités de l’UE, la gauche, pour soulager les inégalités et l’appauvrissement quasi-général, ne peut plus agir que sur deux leviers palliatifs : la dépense publique et la fiscalité.
Comme Jospin en 1997, comme Hollande en 2012, il ne s’agit jamais de créer les conditions pour que les travailleurs puissent vivre dignement de leur travail, que les surprofits scandaleux du grand capital n’échappent plus à la socialisation et à la taxation, que la France recommence à produire dans l’industrie et l’agriculture. La promesse est de financer toujours plus de dépenses publiques largement consacrées à l’assistance par un principe simpliste : « taxer les riches ».
Cette logique est malheureusement illusoire dans le cadre actuel dont refuse de sortir la gauche. D’une part, si la production continue de fuir la France, la richesse nationale sera de plus en plus faible et la base taxable réduite. Il est donc indispensable de rétablir un solde commercial moins déséquilibré, de produire plus sur notre sol et de moins importer. Cela ne peut se faire que par un protectionnisme et une politique industrielle au niveau national, ce qui, évidemment, serait contraire aux traités européens.
D’autre part, si la France augmente sa fiscalité sur le capital et le revenu qu’il rapporte, il est certain que ce dernier, étant le facteur le plus mobile, désertera le pays : les riches iront habiter en Belgique et les multinationales continueront de plus belle à loger leurs bénéfices dans des sièges sociaux situés ailleurs en Europe. Afin d’éviter cela, il est indispensable de mettre fin à la liberté de circulation des capitaux.
Naturellement, le « nouveau front populaire », en proclamant son allégeance à l’UE, s’interdit toute action de cet ordre. Au contraire, il renvoie toute mesure coercitive à l’égard du capital au niveau européen, dont les traités ont un objectif très clair : la concurrence ; en outre, la réalité des rapports de force politiques en Europe est celle qu’elle est. De telles promesses, comme la fameuse « Europe sociale » qui était censée prolonger Maastricht, sont donc de purs vœux pieux.
Le dévoilement de la liste des candidats investis a achevé de noircir le tableau. D’une part, le grand retour de Dominique Voynet et de François Hollande confirme que le « Nouveau front populaire » sera plutôt une promesse renouvelée de déception : la première a revendiqué qu’elle avait trahi le mandat de négociation qui lui avait été confié pour casser encore davantage la filière nucléaire en France, après avoir fermé Superphénix, cette centrale expérimentale qui aurait pu conduire la France à maîtriser la fusion – c’est à dire la production d’électricité à terme sans avoir besoin de combustible ; le second est le symbole du décalage entre les promesses de campagne – « mon ennemi, c’est la finance » – et l’action réelle une fois au pouvoir – accepter le diktat du TSCG.
D’autre part, l’investiture de candidats ayant publiquement soutenu le pogrom du Hamas, ouvertement indigénistes ou pratiquant la violence politique dans les rues montre le plus odieux visage d’une extrême-gauche petite-bourgeoise radicalisée dans sa haine du peuple français. Enfin, les règlements de compte de Jean-Luc Mélenchon qui profite de l’ambiance hystérisée de branle-bas de combat antifasciste pour se débarrasser des quelques voix critiques au sein de son mouvement sont particulièrement répugnants.
République souveraine refuse donc de rejoindre cette alliance de la carpe et du lapin, où se côtoient les figures les plus éclatantes de la trahison et de la haine, défendant un programme incohérent aboutissant dans le meilleur des cas à financer par la dette l’achat de toujours plus de produits asiatiques, et dans le pire des cas, au sort de la Grèce en 2015.
Même si nous savons que cette coalition compte des acteurs avec lesquels nous partageons beaucoup, comme François Ruffin, Emmanuel Maurel ou le PCF de Fabien Roussel, nous ne voulons pas rejoindre une gauche de l’incantation et du sociétal, cette gauche qui tourne le dos aux classes populaires qui vivent hors des banlieues.
Nous souhaitons incarner au contraire une gauche de l’action, du travail et du social, qui parle à tous les Français, des immigrés aux électeurs du Rassemblement national. Une gauche qui assume la fermeté concernant la sécurité et la régulation de l’immigration, qui refuse la démagogie des promesses intenables dans le cadre européen, qui s’efforce de reconquérir les moyens d’action au niveau national pour appliquer les principes du Préambule de 1946 issus du programme du CNR.
Bref, une gauche qui se sorte enfin des ornières du passé : fausses promesses, « Europe sociale », extension infinie des droits des individus pour mieux masquer la perte des droits collectifs.
De l’autre côté de l’échiquier politique, des souverainistes de droite avec lesquels nous partageons certains combats annoncent qu’ils seront candidats pour le Rassemblement national (RN) au nom de l’union sacrée contre la destruction de la France. Les résultats des Européennes, qui témoignent d’un véritable mouvement populaire hors des grandes métropoles, n’y sont pas pour rien. Nous pouvons comprendre que des acteurs puissent se dire : « la majorité du peuple a choisi un parti pour incarner l’opposition à Macron et à ses prédécesseurs, dont il est la caricature – je m’y rallie. » Mais si nous trouvons grotesques les tentatives de ranimer un antifascisme rituel auquel ne croient plus guère que les actrices de cinéma sur le retour, si nous pensons avec Marcel Gauchet que le RN, historiquement collabo et OAS, a évolué vers une forme de droite populiste, si nous comprenons ce qui a pu mener nombre de concitoyens vers un vote RN, nous ne nous résignons pas pour autant à un campisme inversé. Si nous refusons de nous enrôler avec des opportunistes, des violents, des antisémites par opposition à un fascisme imaginaire, nous ne voulons pas non plus nous enrôler derrière le mouvement qui leur fait face sous prétexte que les classes populaires hors métropoles le privilégient.
Pourquoi ? Parce que le RN, précisément, n’a aucune colonne vertébrale.
Son discours n’a cessé de changer, même depuis sa prise en main par Marine Le Pen. Devenu attentif aux valeurs de solidarité par son succès dans le Nord et l’Est, il (re)devient plus libéral ; jadis souverainiste et indépendantiste, il prétend maintenant s’allier avec des mouvements nationalistes à Bruxelles pour « changer l’Europe » – comme un certain Tsipras de l’autre côté de l’échiquier – et revient à ses anciennes lubies atlantistes.
Ces trois évolutions rapides doivent nous alerter : souvent RN varie, bien fol qui s’y fie ! Le pire n’est pas toujours sûr, mais il n’est pas interdit d’établir des probabilités. La plus forte est qu’un Jordan Bardella à Matignon, rallié par Eric Ciotti, confronté à l’État profond (Élysée, haute administration, magistrature, Conseil d’État, Conseil constitutionnel), à la presse de cour et au patronat, choisira la voie ouverte par Giorgia Meloni – celle d’un alignement sur les attentes du grand capital, de Bruxelles et de Washington. Si le grand changement que tous attendent dans la France périphérique se termine en cette eau de boudin, nous ne voulons pas en être complices.
Nous partageons l’idée qu’il faut réduire les flux migratoires – ne serait-ce que pour prendre le temps d’assimiler les immigrés présents – et rétablir la sécurité de nos concitoyens. Mais nous pensons que pour reconquérir notre capacité à agir dans ces domaines comme dans d’autres, nous devons privilégier l’esprit du droit plutôt que son interprétation dévoyée par des juridictions – CEDH, CJUE, Conseil constitutionnel, Conseil d’État – qui ont tendance à vouloir corseter, voire contraindre la souveraineté populaire. Nous refusons de ce fait de nous ranger derrière un mouvement qui, comme Giorgia Meloni, ouvrira ses frontières à l’immigration si elle est utile au patronat, mangera dans la main d’Ursula Von der Leyen et communiera dans le délire pro-guerre des docteurs Folamour de l’OTAN.
C’est pour cela que République souveraine choisit, comme les pays amoureux de leur indépendance pendant la guerre froide, le non-alignement. Sans hystérie, tout en reconnaissant avoir certaines affinités avec des membres d’un camp (François Ruffin, Fabien Roussel, Emmanuel Maurel) comme avec des électeurs de l’autre, nous refusons de nous embrigader dans aucun. Comme en 2022, chacun de nos membres votera en son âme et conscience, en fonction des candidats de sa circonscription – étant entendu, bien sûr, qu’aucune voix ne devra aller à Macron ni à ses alliés.
Georges Kuzmanovic