La Revue Politique et Parlementaire vous présente un article sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie par Arnaud de Raulin ! Découvrez les enjeux politiques, économiques et sociaux de ce territoire en pleine mutation.
Les évènements actuels et plus lointains nous interrogent sur l’avenir de ce territoire. Son histoire se caractérise par un ensemble d’éléments perturbateurs qui ébranlent ce « pays ».
La grave crise politique que connaît la Nouvelle-Calédonie actuellement consécutive au projet de réforme constitutionnelle de 2024 en est le signe. Celui-ci a pour objectif d’élargir le corps électoral à une nouvelle catégorie de citoyens. Il prévoit un dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, voulu par Paris et refusé par les indépendantistes. Cette réforme provoque de très vives réactions et des violences ( mai et juin 2024) de la part des indépendantistes opposés au projet.
Les faits sont graves : la mise en place de barrages sur l’ensemble de l’île, la fermeture de nombreux établissements publics et privés bloqués (commerces, écoles, universités, entreprises…). Il faut ajouter à ce contexte politique la crise autour du nickel, élément essentiel de la santé économique qui embrase la Nouvelle–Calédonie. Sur le plan sanitaire, l’hôpital de Nouméa, souvent inaccessible, prive la population de nombreux soins. Six personnes ont été tuées dont deux gendarmes. Une centaine de gendarme et de policiers ont été blessés… La ville de Nouméa est soumise à un couvre-feu. L’état d’urgence avait été décrété en Conseil des ministres et entré en vigueur sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 pour une durée initiale de 12 jours comme la loi de 1955 le prévoit.
Au 23 mai 2024, l’ensemble des dommages causés par ces violences avait été évalué à près d’un milliard d’euros (Rapport du Sénat). Comme le déclarait le président Emmanuel Macron à son arrivée à Nouméa le 24 mai 2024, nous sommes en présence « d’un mouvement d’insurrection absolument inédit ». Près de mille gendarmes ont été mobilisés pour assurer la sécurité de l’île. Historiquement, déjà, en avril 1988, la Nouvelle – Calédonie avait déjà connu d’importantes tensions politiques opposant les loyalistes et les indépendantistes. Vingt sept gendarmes avaient été pris en otage par un groupe de partis indépendantistes et en particulier par le Front de libération nationale kanak et socialiste ( FLNKS). En juin 1988, les accords de Matignon avaient été signés pour répondre à une partie des demandes des indépendantistes qui prévoyaient notamment un référendum d’autodétermination.
Nous envisagerons l’avenir de la Nouvelle-Calédonie autour de trois axes principaux : le droit applicable et plus précisément le dualisme juridique (droit coutumier /droit moderne), l’organisation du pouvoir et en particulier les relations entre l’Etat et cette collectivité “sui generis” et enfin une analyse prospective portant sur la situation future de ce territoire.
I – La gestion partagée de la Nouvelle-Calédonie
Un des particularismes principaux de la Nouvelle-Calédonie est d’être soumis à la fois à un droit moderne applicable à l’ensemble des citoyens français et un droit coutumier en faveur de la communauté kanak. Il existerait donc dans ce territoire deux catégories de droit : le droit traditionnel (le droit coutumier) et le droit moderne. Chaque système est régi par des principes et règles qui peuvent être complémentaires et contradictoires. C’est en réalité deux visions du droit qui peuvent s’opposer et se chevaucher. Cependant, ces deux ordres juridiques cohabitent sur le même territoire créant un dualisme juridique. L’établissement de ces deux droits doit permettre non seulement la reconnaissance des différentes communautés, en particulier kanak et caldoche mais aussi l’ instauration d’un esprit de concorde et de paix.
Sur le plan institutionnel, la constitution de 1958 distingue deux groupes de régions périphériques : d’une part les départements et les régions d’outre-mer (la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion…) régies par l’article 73-3 et d’autre part des collectivités d’outre- mer réglementés par les articles 74 et 74-1. Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle bénéficie d’un statut spécifique qui est inscrit au titre XIII de la constitution. L’Union européenne différencie les territoires ultramarins selon deux statuts : les RUP (région ultrapériphérique de l’Europe) et les PTOM ( pays et territoires d’outre-mer). Cette distinction remonte au traité de Rome de 1957. Les RUP sont soumises au droit européen et font partie intégrante de l’UE tandis que les PTOM ne font pas partie de celle-ci. Cependant l’article 198 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne appelé aussi traité de Rome dispose : « Les Etats membres conviennent d’associer à l’UE les pays et territoires non européens entretenant avec le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaune-Uni des relations particulières. Le but de l’association est de promouvoir la promotion économique et sociale des pays et des territoires, et l’établissement de relations économiques entre eux et l’Union dans son ensemble ». Un peu plus loin, l’article 198-2 ajoute: « L’association doit permettre de favoriser les intérêts des habitants de ces pays et leur prospérité de manière à les conduire au développement économique et culturel qu’ils attendent ».
En effet, l’Etat français doit gérer les onze territoires ultra-marins dans un souci d’égalité, de justice et de développement économique et social en cogestion avec l’Union européenne. Il est intéressant de noter que se que c’est le même objectif de développement qui est fixé par l’ article 72-3 de la constitution :
« La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun d’égalité et de fraternité et de liberté ».
On ne peut s’empêcher de comparer la gouvernance de ces territoires à un « mille feuilles administratif ».
Comme le déclarait D. Wolton en 2013: « Le Pacifique, immense, insaisissable, impensable ».
Toute l’oeuvre de la révolution et de la République fut et demeure l’assimilation de ces territoires de l’outre- mer à la métropole avec des résultats contrastés. La Nouvelle-Calédonie est dans le titre XIII une véritable « Constitution dans la Constitution » ce qui représentait à l’époque une grande innovation pour les constitutionnalistes français. Par ses deux articles 76 et 77, elle n’est pas un territoire d’outre-mer mais une collectivité sui-generis. Elle a à sa disposition un gouvernement et une assemblée qui peut délibérer sur de véritables lois qualifiées de « lois du pays ». Celles-ci ont valeur législative et peuvent être soumises devant le Conseil constitutionnel. Le Sénat coutumier, les conseils coutumiers et le conseil économique, social et environnemental (CSSE) constituent les autres institutions de la Nouvelle-Calédonie. Les deux premiers sont consultés sur les textes relatifs à l’identité kanak, et le CSEE sur les sujets économiques et culturels. Au- delà des règles générales communes, chaque catégorie de collectivités territoriales obéit à un régime propre ce qui traduit la spécéficité de ces entités. La possibilité pour la Nouvelle-Calédonie d’adopter des lois du pays constitue l’une des grandes avancées de la loi organique de mars 1999. Désormais, au sein de la République française, le parlement ne sera plus le seul à adopter des textes législatifs. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie dispose de la même faculté. Selon l’article 99 de la loi organique, le Congrès adopte dans certaines matières des délibérations dénommées « lois du pays » ces compétences énumérées à l’article 99 ont trait à des matières présentant un intérêt fondamental pour ce territoire : identité kanak et droit coutumier, droit social, droit civil, impôt, mines et régime domanial. Le droit coutumier étant une compétence de la Nouvelle-Calédonie, les kanaks bénéficient d’un régime dérogatoire en particulier dans la société pour certaines matières : droit de succession (importance du Conseil de famille), le mariage (la communauté intervient dans le choix de l’épouse ou de l’époux), le droit des biens pour la société kanak. Au-delà des références strictement juridiques, l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 qui a été constitutionnalisé et inscrit dans le titre XIII de la constitution est à la fois un cadre politique et juridique qui vise à assurer l’évolution politique et juridique de la Nouvelle-Calédonie. Il faut observer le caractère ambigu de ce texte qui tente de préserver l’unité de l’Etat tout en prônant un statut coutumier favorable aux kanaks. Ce compromis social et politique de l’accord de Nouméa met sans aucun doute à l’épreuve le discours universaliste de l’Etat. On constate donc que le choix de l’unité entre ses différents forces et logiques identitaires a été et reste largement profondément problématique. Ce statut coutumier dérogatoire au droit commun représente dans une certaine mesure une atteinte aux principes d’universalité et d’égalité selon lequel « la loi doit être la même pour tous ». Le principe d’égalité mettait fin aux privilèges de l’ancien régime. Ce même principe d’égalité est inscrit dans le Déclaration des droits de l’homme de 1789 (article 1) et dans le préambule de la constitution. Le titre XIII de la constitution a fait émerger un individu-citoyen et « coutumier » qui prend toute sa place dans les sociétés ultra-marines. Malgré ces critiques, le principe de diversité avait déjà tracé son chemin et était déjà reconnu depuis 1870 en Alsace Lorraine. Dans cette région, il s’est construit par strates successives et son existence a été consacrée par une décision du 5 août 2011. Il est désormais reconnu comme un principe fondamental du droit.
Dans le cas présent, le projet de loi constitutionnelle relatif à la réforme électorale qui avait pour objectif d’élargir le corps électoral à « des calédoniens, des français qui naissent en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens et qui ne peuvent pas voter pour choisir leurs élus locaux » est une situation « contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République » déclarait le ministre de l’intérieur lors de la présentation du projet de loi en mars 2024.
Il ressort donc de l’étude à la fois juridique et sociologique de ces sociétés que le dualisme juridique tradition/droit moderne ne peut se réduire et se résumer à la conciliation mais aussi à la confrontation entre deux régimes juridiques distincts et différents. Sans aucun doute, le conflit actuel illustre la difficulté de faire coexister au sein d’un même Etat deux ordres juridiques et politiques différents l’un de l’autre. Ce compromis social et politique qui résulte de l’accord de Nouméa met à l’épreuve sans aucun doute le discours universaliste de l’Etat. En outre, on peut observer que l’organisation de trois référendums successifs en 2018, 2020 et 2021 qui ont abouti au rejet de l’accession de l’indépendance n a toujours pas tranché le débat entre les partisans de l’union et ceux de la séparation. Certes, certains ont pu critiquer le référendum de 2021 car il était organisé en l’absence du peuple premier. Comme le déclare justement un auteur D.Wolton « Comment penser les rapports entre rationalité et modernité, culture et diversité culturelle, à penser ces contradictions entre identité et culture ». On constate donc que le choix de l’unité entre ces différentes forces et logiques identitaires est largement et profondément problématique.
II – Vers une nouvelle gouvernance
Pour beaucoup d’auteurs, l’apparition et le développement du principe de diversité a été une rupture de l’ordre républicain. La remise en cause des principes de l’unité et de l’indivisibilité de la République concerne principalement des territoires d’ outre – mer comme la Nouvelle- Calédonie et la Polynésie française. Ces deux territoires ont toujours été dotés d’un statut « plus spécifique » que les autres régions ultra-marines. Outre une organisation particulière et le principe de la spécialité législative, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française bénéficient d’aménagements supplémentaires leur conférant une quasi “autonomie interne» dans le cadre de la République. C’est ainsi qu’entre autres exemples, ces deux territoires d’outre-mer se sont vus reconnaître une identité culturelle propre avec le droit de se doter de signes distinctifs tels qu’un drapeau ou un hymne. Dans les années 2000, ce phénomène va s’amplifier avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. On évoque même pour l’ensemble de ces territoires de l’outre-mer et notamment pour la Nouvelle-Calédonie la notion de « souveraineté partagée » comme c’est le cas des îles Cook associées à la Nouvelle-Zélande. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, les notions de self-government et de «souveraineté partagée» connaissent une grande élasticité et flexibilité. Certains expliquent même que les frontières d’un Etat ne peuvent être clairement définies. Elles demeureraient relativement contingentes et dépendantes de ce que l’histoire politique engendre. Pour les îles Cook, être interdépendant signifie : établir des relations diplomatiques avec des Etats et, en même temps, disposer de la nationalité d’un autre Etat ainsi que sa monnaie. Les îles Cook sont un pays insulaire autonome en libre association avec la Nouvelle-Zélande. Wellington lui offre aide et assistance et les insulaires ont la nationalité néo-zélandaise. La diversité au sein de la République est devenue aujourd’hui une réalité constitutionnelle pour les collectivités décentralisées. Ce principe de diversité est inscrit dans l’article 74 de la constitution : « Les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République… ». Des collectivités comme la Nouvelle- Calédonie et Wallis et Futuna insistent plus sur le principe de diversité à la différence de la Polynésie française qui s’appuie sur les principes d’unité et d’indivisibilité de la République (articles 1,2 et 3 (alinéa 1 et 2). Précisément, c’est une dominante à la fois traditionnelle et moderne qui prévaut en Nouvelle Calédonie et Wallis et Futuna. Ce petit bout de France où règne trois rois. La diversité est l’une des conséquences de l’organisation décentralisée de la République qui conduit à une nouvelle conception des rapports entre l’Etat et les collectivités décentralisées. Désormais deux principes d’unité et de diversité sont consubstantiels à la République. Certes le principe de diversité met en relief et tente de concilier les antagonismes existant entre les partisans du droit moderne et ceux de la tradition. L’évolution actuelle des institutions de l’outre-mer peut engendrer à la fois des doutes, des interrogations et aussi des changements importants (cf l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie). La prise de conscience d’une affirmation plus forte, plus agressive parfois, des identités diverses est devenue une tendance de fond de la société actuelle. Sans doute, l’idéologie de l’État souverain a perdu beaucoup de terrain dans cette gigantesque bataille que se livre l’Etat et les collectivités périphériques. II est peut- être présomptueux d’affirmer que l’État a définitivement perdu cette guerre car il reste toujours, jusqu’à la preuve du contraire, la principale autorité de régulation du développement économique, social et culturel des pays d’outre-mer.
D’un côté, les tenants de la conception traditionnelle estiment qu’il serait difficile de penser autrement qu’en termes d’État : grand, petit, riche, pauvre, massif, délié, au centre, à la périphérie, continental, maritime, continu ou discontinu… D’un autre côté, s’oppose la tendance réformiste qui met en exergue les « lois du pays » (Nouvelle- Calédonie, Polynésie française) et une langue distincte de la langue française. C ‘est déjà reconnaître des identités culturelles dans le cadre la République française. Cette République doit maintenant composer avec les différentes minorités qui se trouvent sur son territoire. L’histoire politique et constitutionnelle de la France, qui se caractérise par un droit centralisé et unitaire, subit de ce point de vue une profonde évolution. Il semble que nous ne bâtissons plus ce système politique correspondant. Sans doute, dans le cas français, la reconnaissance des droits culturels vise autant la reconnaissance de droits civils que politiques et peut mener à terme à l’indépendance. C’est le prix à payer pour soutenir et défendre la liberté. L’objectif du constituant est de gérer cette diversité à travers une démarche globale dont le nom signifie l’universel. L’unité est pourtant indispensable à cette institution que représente la République. Celle-ci s’est construite autour de la centralité. Or cette notion s’est retournée en faveur des minorés et des communautés. Le conflit de ces territoires désigne une lutte entre la culture moderne et traditionnelle. La solution est cette rencontre entre ces deux univers. S’agit-il d’un rêve ou d’un combat perdu d’avance ? D’autres prônent le syncrétisme qui est un mélange de doctrine et d’idéologies diverses. Cette nouvelle approche caractérisée par la coexistence entre le droit moderne et la tradition pourrait conduire à une forme de syncrétisme. Cette démarche est d’ailleurs omniprésente dans ces sociétés qu’elles soient d’ailleurs du Pacifique et d’Afrique. Par rapport à ces critiques et ces doutes légitimes et fondées, on doit s’interroger ainsi que les gouvernants sur ces logiques contradictoires. Entre l’ambiguïté, les contradictions et le réformisme, la vérité est sans doute, entre les trois. L’homme politique comme le juriste doit souvent se transformer en médiateur et observateur, voire un sociologue des pratiques des sociétés. Pour certains auteurs comme le pensait C. Laurent, il pourrait exister un destin commun en Nouvelle-Calédonie si toutes les communautés avancent chacune dans le respect et le partage de toutes les cultures ». Sans doute déclare-t- elle: « Le déni des autres cultures est encore trop fort » dans le cas de la Nouvelle-Calédonie pour atteindre cet idéal de coexistence et de véritable paix entre les diverses communautés. L’unité dans la diversité pourrait se transformer aussi en une sorte de rencontre entre Descartes le cartésien et Rousseau le romantique…. Dans ces différents territoires, ces populations ont eu des cultures et des héritages coloniaux qui définissent leur personnalité. Or l’ouverture d’esprit est souvent caractéristique de la population polynésienne. Depuis le 18 ème siècle, ces populations ont été imprégnées de la culture occidentale (mormons, baptistes, adventistes, catholiques et protestants…) et asiatique et donc plus perméables et enclines au droit moderne Mais il appartient avant tout aux politiques de faire des choix et de composer avec tous les forces en présence..
Certes, les relations droit interne-droit de l’outre-mer évoluent dans un cadre ouvert, dialectique et flexible qui doit permettre des adaptations, des aménagements réciproques dans les deux systèmes. Cependant, il n’en demeure pas moins que malgré l’influence du droit occidental, les régions d’outre-mer ont une conception du monde différente de celle des sociétés industrialisées. Cette société traditionnelle n’est pas figée ; elle subit les assauts du monde moderne. L’émergence et la poussée de la notion de citoyen imprègne progressivement le clan et la tribu en contre- partie d’une sécurité juridique nécessaire au développement. Il appartient au juriste d’être attentif à l’évolution de ces sociétés et d’être persuadé qu’il n’y a pas de véritable d’État de droit sans adhésion. Enfin, c’est une évidence que cet impérieux Etat français se trouve entraîné vers une pratique libérale à l’anglo-saxonne, vers un droit à la différence qui va jusqu’au communautarisme. Sans compter que cette recherche du compromis a un coût politique et financier que la nation n’est pas prête à accepter à n’importe quel prix. Nous arrivons aujourd’hui aux limites d’une logique d’autonomie, au bout d’une démarche idéologique et politique qui a su gérer et concilier des différences entre le droit moderne et le droit traditionnel. Que peut-il advenir après ce long et complexe processus d’autonomie, qui ne peut déboucher que sur l’indépendance de ces territoires?
Pour l’instant, les graves troubles qui ont pour origine principalement le projet de réforme constitutionnelle sont une menace pour les institutions démocratiques. Il faut observer également que ce projet a renforcé les clivages existant entre les indépendantistes et les loyalistes. Cependant, le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé le 12 juin 2024 de suspendre ce projet alors que celui-ci avait déjà reçu l’approbation de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il restait théoriquement une dernière étape qui était celle de l’adoption définitive. Pour cela, il faut réunir les deux Chambres en Congrès qui doit voter le texte à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (cf article 89 de la constitution).
Ne serait-il pas plus pertinent d’emprunter d’autres pistes possibles, et celles, notamment, permettant un compromis politique et social entre les différentes catégories de population ? C’est une démarche ouverte, différentielle et progressive qui peut s’appuyer sur la diversité culturelle, la pluralité linguistique, une pluralité de sources juridiques, la protection de l’environnement ou encore l’altérité. Sans doute, le juriste classique est sans doute sceptique face à cette culture plurielle….
III – Perspectives pour la Nouvelle-Calédonie
Notre analyse portera sur deux points principaux :
En premier lieu, notre étude se rattachera directement à la situation politique, économique et sociale actuelle (mai et juin 2024) de la Nouvelle-Calédonie et nous évoquerons le contexte de fortes tensions lié au projet de « dégel électoral » qui oppose les indépendantistes et les loyalistes. Ce projet visait à élargir le corps électoral à de nouveaux électeurs. Cette proposition est contestée par les indépendantistes pour laquelle « l’aspiration à l’indépendance et à l’autodétermination du peuple kanak ne disparaîtra jamais » comme le soulignait justement le chef du gouvernement Guy Attal le 22 mai 2024. Il ajoutait également qu’il fallait y « inventer un nouveau cadre ». Le président Emmanuel Macron tenta de trouver des solutions d’ apaisement à la crIse lors de la visite éclaire effectuée à Nouméa le 24 mai 2024. Il proposa une réforme globale du système politique, économique, social et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Pour certains, cette méthode était trop rapide et pas assez consensuelle. Selon l’ancien premier ministre Lionel Jospin, les négociations qui doivent aboutir à une nouvelle politique doivent être menées dans un esprit de concorde et sans précipitation : « En Nouvelle-Calédonie, le chef de l’Etat doit s’interdire de la tentation de l’ultimatum » . (cf : Tribune au Monde-Débats le 27 mai 2O24).
Le dialogue et l’impartialité de l’Etat sont des forces qui doivent animer et guider l’esprit des négociateurs.
Dans le cas contraire, le pays risque de connaître l’embrasement.
Il faut tenir compte aussi des mouvements religieux à l’intérieur de la société calédonienne. Les églises kanak ont une forte influence sur la population. Celles-ci ont joué un rôle déterminant dans le mouvement de décolonisation. L’élément religieux est un élément décisif dans la vie quotidienne des calédoniens. Selon les chiffres, les Kanaks seraient constitués aujourd’ hui de 50°/° de protestants et 50% de catholiques. Pour le pasteur F., Rognon qui a écrit : ( cf « Maurice Leenhardt Pour un « Destin commun » en Nouvelle-Calédonie » – Edition Olivétan, 2018), il considère que «Le pouvoir aurait tort de négliger les Eglises car les kanaks conservent la mémoire de leurs racines religieuses ». Ces institutions religieuses peuvent aider les gouvernants à sortir de la crise. Jean-Marie Tjibaou, ancien prêtre fut l’un des artisans de la paix lors des évènements en Nouvelle-Calédonie en 1988 et aussi le signataire des accords de Matignon en juin 1988. Une politique de coexistence entre les différentes communautés apparaît comme un moyen d’action essentielle pour le règlement de ce conflit.
Sur un autre plan à la fois international et géopolitique, des solutions pourraient être apportées à la crise calédonienne.
La prise en compte des pays et territoires d’outre-mer sont devenus à la fois une réalité géographique, économique et juridique pour l’Union européenne.
La quatrième partie du traité de Rome est intitulée : « L’association des PTOM ». Selon l’article 131 du traité : « Les Etats membres conviennent d’associer à la Communauté les pays et territoires non européens entretenant avec la Belgique, la France et les Pays-Bas des relations particulières » et un peu plus loin le traité ajoute dans l’article 131alinéa 3 «de manière à les conduire au développement économique, social et culturel qu ’ils attendent». Ces territoires sont incorporés dans les traités d’Amsterdam (1999) et de Lisbonne (2007). L’association entre l’Union européenne et les PTOM est définie par les articles 198 à 204 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFU). Les PTOM ont un statut d’association avec l’UE et reçoivent des aides du Fonds européen (FED), instrument principal de l’aide communautaire à la coopération et au développement. Ils bénéficient également de l’aide de la Banque européenne d’investissement (BEI) et participent à certains programmes communautaires (éducation, environnement, santé, transport…). Ce partenariat entre l’UE et les PTOM s’est affiné à partir d’instruments juridiques tels que la DAO (décision d’association de l’outre-mer). Les DAO déterminent le soutien financier de l’Union européenne. Ce renforcement du partenariat européen coïncide dans une certaine mesure avec l’émergence de l’Europe-puissance. En effet, la participation de l’Europe comme partenaire de l’outre-mer français et en particulier dans le pacifique devient de plus en plus importante. Cette association entre la France, l’Europe et les PTOM aurait deux objectifs principaux : le premier vise à soutenir le développement économique et social des collectivités territoriales de l’outre-mer et le second plus politique et géopolitique serait d’utiliser ces territoires français comme plate- forme de la puissance européenne et dans le même temps de freiner l’expansion chinoise. Il est intéressant de noter, qu’il s’agisse des dirigeants politiques ou d’experts en la matière, la notion « indo-pacifique” s’ est substituée à l’expression «Asie-Pacifique». Ce changement met en lumière les nombreux évènements qui se sont opérés ces dernières années dans le domaine géopolitique. En réalité, le concept se révèle être un concept « élastique et durable », flexible et souple qui revêt différentes formes : militaire, maritime, économique et environnementale. Ce concept est désormais intégré dans la plupart des Livres blancs des grandes puissances (Inde, USA, France, Australie..). Il faut souligner aussi le rôle de l’OCTA ( Association des pays et territoires d’outre-mer) qui gère la coopération entre l’Europe et les PTOM. Elle se réunit chaque année. Le 19eme Forum UE-PTOM avait été organisé à Nouméa le 15 novembre 2022. A l’occasion de cette réunion internationale, le président de la Nouvelle-Calédonie Louis Mapou avait déclaré dans un discours : « Le rôle très important de l’association dans le dialogue avec l’Union européenne » et a rappelé que «la gouvernance de l’OCTA est un élément clé dans notre développement respectif et l’un des points d’attention de la feuille de route ».
Arnaud de Raulin,
Professeur émérite des universités