En décembre 2015, le paysage politique des régions françaises s’est transformé de trois manières : treize nouvelles régions, un nouvel équilibre partisan entre gauche et droite et aucun conseiller régional socialiste dans deux régions. Portrait des candidats en lice et les nouveaux élus.
Pour la première fois depuis 1986, date de création des vingt-deux régions administratives, les électeurs ont désigné par les urnes les majorités politiques de treize nouvelles régions, neuf régions ayant fusionné au sein d’entités plus larges. Ensuite, un nouvel équilibre partisan entre gauche et droite (cinq régions à gauche, sept régions à droite et une région divers) a mis fin à plus d’une décennie de domination du Parti socialiste au sein des exécutifs régionaux. Enfin, là encore pour la première fois de l’histoire des régions, la gauche ne disposera d’aucun conseiller régional élu en Nord-Pas-de-Calais – Picardie et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, en raison du désistement des listes de gauche au second tour.
Une telle transformation du système politique régional s’explique de différentes façons. Organisées quelques mois après les attentats de Paris et Saint-Denis, les élections régionales n’ont pas réellement permis aux candidats, aux listes de mener une campagne au long cours sur des enjeux strictement régionaux. La dégradation du climat économique et social combinée à l’état d’urgence dans le pays ont pu incidemment influencer le vote des Français, sans qu’une relation de cause à effet soit clairement établie. Comme tout scrutin intermédiaire, cette élection régionale s’est déroulée dans un contexte de vote sanction à l’endroit de l’exécutif1, au même titre que les élections municipales de 2014 et départementales de 2015. L’objet de cet article n’est pas de revenir sur les facteurs explicatifs des résultats électoraux mais plutôt d’étudier comment ce nouvel équilibre politique régional s’est installé au regard de l’offre électorale proposée, du profil des candidats en lice et des conseillers régionaux élus.
Une offre partiellement unifiée
Le ministère de l’Intérieur a publié le mardi 10 novembre 2015 l’ensemble des listes déposées par chaque tête de liste aux élections régionales auprès des préfectures de région. L’information rendue publique par le ministère est intéressante à double titre. En premier lieu, elle permet de connaître avec précision le nom complet de la liste et la nuance politique renseignée par le ministère. En second lieu, elle permet de caractériser la position socio-professionnelle des candidats en plus d’indiquer leur sexe et leur âge.
La loi du 16 janvier 2015 substitue aux vingt-deux régions métropolitaines existantes treize régions constituées par l’addition de régions sans modification des départements qui les composent. Seules les frontières des régions Ile-de-France, Corse, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Pays de la Loire, Centre Val de Loire et Bretagne restent inchangées. Pour ces collectivités, le nombre de conseillers régionaux reste également inchangé alors que la taille des autres assemblées régionales progresse mécaniquement par l’addition des anciennes régions. Le tableau 1 indique la nouvelle configuration institutionnelle des conseils régionaux qui a pris effet le 1er janvier 2016.
Tableau 1 – Nombre de conseillers régionaux (2015)
A l’instar des élections départementales de mars 2015, plusieurs listes partisanes étaient en lice avec un degré de compétition relativement homogène puisque chaque région fut le théâtre d’une opposition entre huit (Centre-Val de Loire) et treize listes (Île-de-France). Au total, 21 456 candidats étaient engagés en vue d’obtenir l’un des 1 880 postes de conseiller régional (soit près d’un siège pour onze candidats). Une lecture attentive des figures 1 et 2 suggère qu’il n’existe pas de relation nécessairement proportionnelle entre le nombre de candidats, le nombre de listes et le nombre de postes de conseillers régionaux. Par exemple, la région Île de France a vu s’affronter 2 925 candidats (treize listes) pour 209 sièges alors que la région Normandie (102 sièges) fut disputée par 1 008 candidats rassemblés autour de neuf listes. Le même constat s’impose pour les régions Centre-Val de Loire et Bretagne. Une telle fragmentation s’explique à la fois par les effets de la fusion administrative, par l’histoire électorale de ces territoires mais aussi par les ambitions régionales de chacune des formations politiques en 2015. Toutefois, la situation était relativement semblable à celle observée en 2010 où chacune des régions métropolitaines rassemblait en moyenne dix listes. Autre similitude avec le premier tour de l’élection de 2010, les listes Europe Ecologie les Verts, créditées alors de 12,2 %, ne se sont jamais alliées au Parti socialiste. Elles formaient toutefois une liste commune avec plusieurs composantes du front de gauche dans cinq régions métropolitaines (Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Auvergne-Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais-Picardie, PACA). Enfin, certains changements méritent d’être soulignés : 1 – la présence de listes UPR (Union Populaire Républicaine) dans chacune des régions, sous la nuance Divers, 2 – une seule liste MoDem (Bourgogne – Franche-Comté), 3 – la présence des listes Debout la France dans chaque région et 4 – la présence de quatre listes autonomes du Parti communiste (Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Pays de la Loire).
Figure 1 – Offre électorale (nombre de candidats et nombre de listes) par région
Rapporté au poids démographique de chacune des régions, le nombre de candidats pour 10 000 habitants s’établit entre 2,45 (Île de France) et 4,14 (Bourgogne Franche-Comté) en France métropolitaine (figure 2). Ce même ratio atteint des niveaux beaucoup plus élevés pour les régions d’Outre-Mer et la Corse. En effet, on comptabilise environ trente candidats pour 10 000 habitants en Guyane contre sept à la Réunion. S’il existe une relation directe entre la démographie des régions et la taille des assemblées régionales, elle n’explique pas à elle seule une compétition électorale plus intense en Île-de-France et Languedoc-Roussillon-Midi Pyrénées et plus faible en Centre-Val de Loire.
Figure 2 – Niveau de représentation politique par habitant
Les listes déposées au ministère de l’Intérieur ont fait l’objet d’un codage en vingt nuances de listes que nous avons, par simplification, réduit à six grandes nuances politiques (EXG pour extrême-gauche, gauche, centre, droite, EXD pour extrême-droite et divers) à des fins de comparaison dans le temps. L’examen de l’offre électorale fait apparaître une grande variété de configurations de premier tour qui n’est pas sans rappeler celle des dernières élections départementales. En effet, les listes d’union de la gauche, présentes dans chaque région à l’exception de la Corse et des DOM-TOM, étaient concurrencées par au moins trois autres listes de gauche, dont en permanence une liste EELV ou VEC et une liste d’extrême-gauche. La région Aquitaine offre une bonne illustration de cette dispersion de l’offre électorale à gauche. À l’inverse, les listes d’union de la droite (Les Républicains-UDI) étaient opposées de manière récurrente aux seules listes Debout la France et à quelques rares occasions à une liste MoDem (Bourgogne-Franche-Comté) ou aux listes DVD (dont deux en Île-de-France). De nouveau, le rassemblement à droite s’est organisé de manière à réduire les pertes de voix dès le premier tour et ainsi enclencher un élan de mobilisation au second tour. Finalement les listes Front national, présentes dans les treize régions métropolitaines, étaient opposées sur leur aile droite par une liste d’extrême-droite en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Comparativement à 2004, le nombre de candidats concourant à la fonction de conseiller régional n’a jamais été aussi élevé (hausse de 21 %, tableau 2). Un tel chiffre infirme de manière surprenante le déficit supposé d’engagement politique des Français pour des positions d’élu local. Certes l’augmentation de candidatures ne signifie pas automatiquement un enchantement ou une vocation pour la vie politique régionale. En effet, l’étude du profil social des candidats confirme l’existence de profondes disparités au regard de la structure sociale de la société française. Nous verrons dans la section suivante que certaines catégories socio-professionnelles restent sous-représentées et d’autres surreprésentées. La capacité des partis ou formations politiques a inversé cette tendance reste modeste malgré une crise réelle de la représentativité des élites nationales mais aussi locales.
Tableau 2 – Evolution du nombre de candidats aux élections régionales, 2004-2015
Sociologie des candidats et des élus régionaux
Qui sont les candidats ?
Le profil des candidats peut être étudié à travers l’âge, le genre et les positions socio-professionnelles, combinées à chaque fois à la région et l’étiquette politique de candidature.
L’âge moyen des candidats s’établit à 49 ans (contre 41 ans dans la population française), sans différence de genre (figure 3). En revanche, l’âge moyen des candidats varie considérablement entre la Guyane (43 ans) et la Guadeloupe (55 ans). De manière intéressante, les populations franciliennes et nordistes figurant parmi les plus jeunes de France (en moyenne 38 ans selon l’INSEE) font écho à une relative jeunesse des candidats pour ces élections régionales. De manière comparée, l’âge moyen des candidats en 2004 s’établissait déjà à 49 ans en 2004 contre 54 ans en 2010. L’effet du grand nombre de candidats sortants réélus en 2010 explique la hausse de l’âge moyen cette année-là.
Figure 3 – Age moyen des candidats par région en 2015
La loi électorale impose le respect de la parité des candidatures des listes aux élections régionales. Parmi les 21 456 candidats, 49,4 % sont des femmes (10 607 candidates). Il n’existe donc pas à proprement parler de différences entre régions ou entre nuances politiques. En revanche, nous verrons que la composition socio-professionnelle des listes fait apparaître des différences substantielles entre hommes et femmes.
Les seules informations disponibles pour étudier les positions sociales des candidats sont celles de la profession déclarée. Evidemment, cette mesure est imparfaite car elle ne saisit pas la dynamique professionnelle des candidats, ni leur entourage social. Toutefois, le tableau 3 révèle des différences notables entre grandes familles politiques. La faible place occupée par les ouvriers (4,2 %) sur l’ensemble des listes, à l’exception des listes d’extrême-gauche (14,2 %) confirme un phénomène déjà observé lors des élections départementales. Fait intéressant, au sein de la gauche, les listes d’union de la gauche accueillent massivement davantage de cadres et professions intellectuelles supérieures mais deux fois moins d’employés que les listes d’extrême gauche et Front de gauche.
Tableau 3 – Composition socio-professionnelle des candidats par famille politique
À droite, la composition socioprofessionnelle des listes d’union de la droite se rapproche des listes d’union de la gauche mais s’en démarque pour deux catégories : les professions intermédiaires (9 % à droite contre 16,5 % à gauche) et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (9,4 % à droite contre 4,4 % à gauche). Phénomène déjà observé lors des élections départementales, la part des ouvriers, employés, agriculteurs, cadres et retraités n’est pas significativement différente de celle observée pour les listes d’union de la gauche.
À l’inverse les listes d’extrême-droite sont parvenues à recruter en grand nombre des personnes retraitées (un candidat sur quatre) et des employés (près d’un candidat sur quatre). De même, les listes frontistes devancent les autres listes en termes de représentation des artisans, commerçants et chefs d’entreprise (10,6 %), rappelant ainsi que l’électorat de Jean-Marie Le Pen au cours des années 1980 et 1990 n’a pas totalement disparu dans les cibles électorales de Marine Le Pen.
Si l’application de la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et l’obligation de la stricte alternance femmes-hommes dans la composition des listes régionales est presque totalement respectée, des différences de genre se maintiennent au sein des catégories socio-professionnelles. Le tableau 4 illustre la surreprésentation des femmes au sein des catégories « employés » (55 %), « professions intermédiaires » (54 %) et « sans profession et autres » (60 %). En comparant ces informations à celles de l’Insee au sein de la population française, un écart significatif touche les employés puisque les candidates employées aux élections régionales sont environ 30 % moins nombreuses que dans la population active. À l’inverse, les femmes ouvrières sont nettement surreprésentées puisqu’elles rassemblent 47 % des positions au sein de la catégorie « ouvriers » contre 20 % dans la population active.
Tableau 4 – Catégories socio-professionnelles des candidats, 2004-2015 (en %)
Comparativement à 2004, peu de différences notables sont à observer. Soulignons que les femmes sont aujourd’hui mieux représentées parmi les candidats cadres et professions supérieures, et aussi parmi les retraités. A l’inverse, les candidates occupant un statut d’ouvrière étaient déjà en 2004 plus nombreuses sur les listes électorales qu’au sein de la structure sociale française. Cette situation confirme que l’introduction de la parité par la loi ne peut à elle-seule corriger les écarts de représentation socio-professionnelle (en particulier pour les employés et les ouvriers).
De la candidature à l’élection : un profil socioprofessionnel peu représentatif de la France contemporaine
Le profil socioprofessionnel des candidats a fait l’objet d’un filtrage social assez puissant entre le premier et le second tour des élections. Ce mécanisme de sélection, qui peut être imputé à la constitution puis à la fusion des listes lors de l’offre de candidatures, se poursuit néanmoins lors de l’élection. Le jeu cumulatif du travail mené en amont par les appareils partisans et du choix électoral produit au final un personnel politique dont les caractéristiques s’éloignent sensiblement du portrait social de la France des années 2010.
L’étude de l’ensemble des 21 456 candidatures du premier tour de 20152 montre ainsi que les groupes dirigeants de la vie économique locale sont assez rares au début de la séquence électorale. Les représentants du patronat et du monde industriel comptent pour 3,6 % des candidats, les professions libérales pour 7,3 % (dont 1 % d’avocats et 1 % de médecins), les artisans et commerçants pour 4,6 %. Les agriculteurs exploitants constituent 2,4 % des candidats.
L’offre électorale change dès le second tour au profit des catégories socioprofessionnelles supérieures.
Les représentants du patronat et du monde industriel passent ainsi à 5,6 % alors que les membres des professions libérales constituent 9,6 % de tous les candidats, bien que les médecins et les avocats y soient toujours assez faiblement représentés (1,5 % du total pour les premiers et 2 % pour les seconds). La proportion des artisans et commerçants est de 5,4 % alors que celle des agriculteurs exploitants est de 3,7 %. Au total, donc, les représentants des milieux économiques constituent donc environ 24 % des candidats du second tour. Cette tendance s’affirme au sein de la population des élus puisque les patrons et industriels en constituent 7,7 % et les membres des professions libérales, 12,7 % (dont 2,3 % de médecins et 3,5 % d’avocats). La part des artisans-commerçants se réduit à 3,9 % alors que celle des agriculteurs exploitants passe à 4,2 %. Le milieu économique est finalement représenté par 28,5 % des élus.
Symétriquement, la part des catégories socioprofessionnelles les plus modestes ne cesse de se rétrécir. Les ouvriers, qui constituaient 3,1 % de tous les candidats au premier tour n’en fournissent plus que 1,2 % au second et représentent 0,7 % des élus. Il en va de même des employés du secteur privé dont la proportion passe de 11,8 % au premier tour à 9,6 % au second puis à 5,7 % parmi les élus. Quant aux membres des professions intermédiaires du privé, leur part évolue de 8,4 % à 6,5 % pour finir à 1,7 % des élus.
À cette première distinction s’ajoute celle due à la surreprésentation des salariés du secteur public dont on connaît les causes depuis longtemps (la souplesse des dispositions des divers statuts, la socialisation politique plus forte des agents publics). Au premier tour, le tiers des candidats proviennent du secteur public. Parmi ceux-ci, on trouve un petit groupe de cadres des trois fonctions publiques3 représentant 3,5 % des candidats, un groupe également restreint de cadres des entreprises publiques (1,5 %) mais un noyau assez important d’enseignants du second degré (9,9 %) et d’universitaires de rang A et B (1 %). Le monde enseignant, dans sa totalité4, représente 13,3 % de tous les candidats puisqu’il faut y ajouter les professeurs des écoles (2,4 %). La part des salariés du secteur public se stabilise au second tour (31,8 %) mais grimpe chez les élus en atteignant 41,3 %, soit deux fois leur part dans la population active.
Mais la sélection sociale opère également pour les candidats du secteur public. C’est ainsi que le groupe des cadres des trois fonctions publiques (hors enseignement) passe progressivement de 4,5 % des candidats au premier tour à 8,2 % de ceux du second puis à 19 % des élus. Dans le même temps, les cadres des entreprises publiques voient leur proportion passer de 1,5 % à 2 % puis à 3,7 %. En revanche, le monde enseignant passe à 11 % des candidats du second tour puis à 12,7 % des élus. Par ailleurs, les catégories B et C des trois fonctions publiques se raréfient puisqu’elles constituaient 10,2 % des candidats du premier tour, 8,4 % de ceux du second et finalement 4,6 % des élus.
À l’issue du processus électoral, deux groupes se distinguent par leur hégémonie : les cadres du secteur public et les membres des professions indépendantes supérieures (figure 4). Les salariés modestes du secteur privé disparaissent presque complètement. La mesure de ce filtrage social se traduit également en termes de grandes « classes » sociales puisque la proportion des catégories socioprofessionnelles supérieures passe de 30 % lors des candidatures du premier tour à 40 % parmi celles du second tour puis à 60 % des élus.
Figure 4 – La sélection sociale des conseillers régionaux de 2015 de la candidature à l’élection (en %)
Ce mécanisme de tri social touche toutes les étiquettes et toutes les régions. Chez les régionalistes (toutes tendances confondues) la part des cadres du public passe ainsi de 16 % chez les candidats du premier tour à 38 % des élus. Sur les listes de gauche et écologistes, cette proportion passe de 22 % à 44 %, sur les listes de la droite et du centre, elle passe de 12 % à 31 % et sur les listes Front national elle passe de 7 % à 18 %.
La composition sociale de chaque parti politique joue sur l’offre de candidatures aux premier et second tours mais cette influence s’efface en grande partie après le vote. Si l’on prend les deux exemples des régions Nord-Picardie (figure 5) et Provence-Alpes-Côte d’Azur, où les listes socialistes se sont retirées au second tour, on voit ainsi que la part des cadres du public baisse entre le premier et le second tour, puisque ces derniers sont particulièrement présents sur les listes socialistes. En revanche, leur proportion grimpe brutalement dans la population des élus et cela dans la région Nord-Picardie comme en PACA. La part des cadres du privé ou des grands indépendants, fortement présents au sein des appareils de Les Républicains ou de l’UDI, progresse sensiblement entre les deux tours mais poursuit sa hausse chez les élus. On mesure sans doute ici les effets additionnés de la notabilité locale, les candidats les plus connus des électeurs étant les mieux placés sur les listes, et de la hiérarchie sociale interne des appareils partisans.
Figure 5 – La sélection sociale des conseillers de la région Nord-Picardie (en %)
Le portrait des nouveaux élus en 2015 : le renouvellement passe par le Front national
La comparaison entre les élus régionaux de 2015 et ceux de 20105 ne montre pas, en valeur moyenne, des différences flagrantes qui pourraient venir prouver que le renouvellement de la classe politique française est en bonne voie. Les conseillers régionaux élus en 2015 sont légèrement plus jeunes que leurs prédécesseurs de 2010, 49,5 ans en moyenne contre 50 ans. Ces moyennes d’âge varient assez fortement d’une région à l’autre, les conseillers les plus jeunes se trouvant en Guyane et en Ile-de-France (46 ans) et les plus âgés en Martinique (55 ans) et en Guadeloupe (53 ans).
De la même façon, la distribution des conseillers en grandes catégories sociales n’évolue guère entre 2010 et 2015 : ils appartiennent aux catégories populaires6 à hauteur de 14,3 %, aux catégories moyennes pour 26 % et aux catégories supérieures pour 59,8 %, alors qu’en 2010, 14 % des conseillers appartenaient aux catégories populaires, 29% aux catégories moyennes et 57 % aux catégories supérieures. La distribution géographique de ces catégories est assez homogène, sauf en Île-de-France où la proportion de catégories supérieures atteint 77 % alors que cette proportion est la plus basse en Guyane (45 %) puis à la Martinique et en Normandie (49 %). La comparaison entre 2010 et 2015 montre également que les choix électoraux n’ont qu’une influence marginale sur la composition sociologique des populations d’élus au sein de la même étiquette, comme le montre la figure 6.
Figure 6 – La proportion de conseillers de catégorie sociale supérieure par étiquette entre 2010 et 2015 (en %)
La comparaison avec les élus de 2010 montre cependant qu’une rétraction de la proportion de salariés du public s’est produite partout sauf aux deux extrêmes représentés d’une part par le FDG et d’autre part par le FN. En revanche, cette proportion passe de 69 % à 61 % chez les élus PS et de 43 % à 34 % chez les élus LR. Parmi les fonctionnaires, les agents de la fonction publique territoriale sont en net recul entre 2010 et 2015 passant de 13 % à 6,6 %, ce qui constitue un effet de l’échec du Parti socialiste.
À cette évolution s’ajoute celle qui voit arriver une proportion bien plus importante de personnes sans profession (souvent des mères au foyer) et des étudiants, catégorie passant d’une moyenne de 1,2 % des élus en 2010 à 5,5 % en 2015. Cette catégorie atteint la proportion de 6,3 % parmi les élus LR, de 6,7 % au FN, de 7 % au FDG et 8 % chez les régionalistes mais, dans ces deux derniers cas, sur la base d’effectifs très réduits.
On n’enregistre pas non plus de différence particulière entre les nouveaux élus et les élus sortants. Ces derniers constituent 63 % des élus régionalistes, 59 % des élus de gauche ou écologistes, 72 % des élus centristes ou de droite et 88 % des élus FN. Au sein de chaque liste, les profils des uns et des autres sont homogènes, ce qui semble démontrer, là encore, leur formatage par les appareils partisans. De la même façon, le cumul avec des mandats électifs nationaux non seulement ne s’est pas restreint mais s’est même développé puisque les conseillers élus en 2010 étaient députés à concurrence de 1,7 % contre 3,6 % en 2015, sénateurs à hauteur de 0,3 % contre 1,3 % en 2015 et députés européens à proportion de 0,3 % contre 0,5 % en 2015.
Figure 7 – Nombre de candidats par liste
En revanche, le succès électoral du FN s’associe au fait que les candidats et les élus de ses listes sont les plus jeunes et les moins éloignés de la structure socioprofessionnelle du pays, ce qui, en soit, constitue un argument politique puissant. Entre 2010 et 2015, les conseillers FN sont passés d’une moyenne d’âge de 53,4 ans à une moyenne de 48,1 ans. Mais, au-delà des valeurs moyennes, 21 % des conseillers FN ont moins de 34 ans contre 13 % des conseillers divers gauche ou 8 % des conseillers LR. Symétriquement, quinze des vingt-sept conseillers ayant moins de 25 ans sont des conseillers FN, dont certains ont fait l’objet de portraits dans la presse locale.
Par ailleurs et surtout, le FN reste fortement ancré, en 2015 comme en 2010, dans les catégories populaires. Entre 2010 et 2015, le FN régional a même supplanté le FDG ou le PCF dans la représentation des classes populaires puisque ses élus en sont issus en 2015 à concurrence de 29,3 % contre 24,4 % des élus FDG ou PCF. En 2010, cette proportion était de 30 % chez les élus FN contre 34,4 % chez les élus FDG ou PCF. La raréfaction de ces derniers en 2015 explique leur « moyennisation » sociale, ce qui ne fait, là encore, que confirmer les processus de sélection à l’œuvre au sein des partis politiques. Une lecture statistique inverse, mettant en lumière la distribution des catégories socioprofessionnelles dans l’ensemble des étiquettes, montre que le FN réunit à lui seul 43 % de tous les artisans-commerçants, 43 % aussi de tous les employés ou anciens employés du privé, 36 % des ouvriers du privé et 32 % des employés du secteur public élus dans les assemblées régionales. Mais à ces racines populaires s’ajoute également une diversification du recrutement car il réunit aussi plus de 9 % de tous les élus enseignants du secondaire comme 17 % de tous les professeurs des écoles.
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Les élections régionales de 2015 n’ont pas témoigné d’un renouvellement d’ensemble du personnel politique régional. Il faut bien admettre que le choix électoral n’a pas une grande influence sur le profil moyen des conseillers régionaux sauf en ce qui concerne le FN, phénomène qui peut d’ailleurs alimenter son argumentaire contre les alliances occultes qui verrouillent la vie politique française.
Ces élections viennent également donner la preuve grandeur nature que l’usage du scrutin proportionnel est loin de régler la question du renouvellement du personnel politique comme le pensent bon nombre de réformateurs qui veulent améliorer la dimension démocratique de la Ve République.
Le poids des appareils comme celui de la notabilité locale acquise après des années d’investissement dans le travail politique sont des facteurs sociaux essentiels qu’il est vain de vouloir ignorer. En arrière-plan, se profile une question bien plus complexe concernant les raisons de la professionnalisation des élus telle qu’elle s’est développée depuis les années 1980. Cette question ne peut être résolue sans tenir compte ni des demandes réelles des électeurs ni de la place des partis politiques dans la vie démocratique.
Martial Foucault
Professeur à Sciences Po, directeur du Cevipof
Et Luc Rouban
Directeur de recherche CNRS au Cevipof-Sciences Po
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- Malgré une popularité exceptionnellement retrouvée en décembre 2015, soit respectivement 27 % et 39 % d’opinions favorables pour le Président de la République et le Premier ministre en décembre 2015, selon IFOP (contre 19 % et 33 % en février 2016 selon le même institut) ↩
- Fournies par le ministère de l’Intérieur, ces données individuelles, qui proviennent elles-mêmes des auto-déclarations faites par les candidats, doivent être prises avec précaution. Il existe en effet des différences entre les catégories utilisées et la réalité des métiers. C’est ainsi que bon nombre de « cadres du privé » sont en réalité des professionnels travaillant pour des associations subventionnées par les collectivités locales ou même des permanents politiques. Par ailleurs, certaines déclarations évoquent le métier d’origine des candidats et non pas la situation professionnelle réelle occupée avant les élections. Les retraités sont analysés ici en fonction de leur ancienne profession en partant du principe que la catégorie « retraités » n’est pas homogène et ne restitue pas la stratification sociale des candidatures. En l’absence d’informations précises, on a classé les « retraités de la fonction publique » dans les « professions intermédiaires de la fonction publique » et les « retraités du secteur privé » dans les « professions intermédiaires du secteur privé ». Ce classement approximatif peut brouiller un peu la répartition moyenne des catégories sociales même s’il respecte la répartition par secteur d’activité. Il peut aussi introduire quelques différences avec les résultats présentés dans le tableau 3 qui isole les retraités. En revanche, le profil des élus a fait l’objet de recherches complémentaires qui ont permis d’affiner les biographies et de les traiter avec précision afin de pouvoir comparer les élus de 2015 avec ceux de 2010. Cette recherche a fait l’objet d’une déclaration n° 2-15042 v1 à la Commission nationale informatique et libertés. Voir : Luc Rouban, « La sélection sociale des candidats aux élections régionales de 2015 », Cevipof, note de recherche n° 16, novembre 2015, https://www.cevipof.com/fr/regionales2015/candidats et Luc Rouban, « Les conseillers régionaux élus en 2015 : première analyse », Cevipof, note de recherche n° 17, janvier 2016, https://www.cevipof.com/fr/les-publications/notes-de-recherche/bdd/publication/1300. ↩
- Groupe dans lequel on intègre les hommes politiques et les permanents ou les membres des entourages quelle que soit la nature de leur statut juridique. À noter que ce groupe est sous-estimé chez les candidats car les cadres du secteur hospitalier figurent dans la catégorie « salariés du secteur médical » que l’on n’a pas pu discriminer. ↩
- En y intégrant les professeurs des écoles, les enseignants du second degré et les universitaires. ↩
- Pour une analyse des profils et des trajectoires politiques des élus régionaux de 2010 : Luc Rouban, Les conseillers régionaux élus en 2010 : portrait de groupe, Cevipof, note de recherche n°1, novembre 2015, https://www.cevipof.com/fr/les-publications/notes-de-recherche/bdd/publication/1298. ↩
- Le codage a été réalisé comme suit. Les catégories populaires comprennent les ouvriers, les employés du privé comme du public, les artisans-commerçants. Les catégories moyennes recouvrent les femmes au foyer, les étudiants, les professeurs des écoles, les enseignants du second degré, les maîtres de conférence, les officiers, les journalistes, les professions intermédiaires du privé comme du public et les agriculteurs. Les catégories supérieures sont composées des cadres du privé, des industriels et gros commerçants, des patrons de TPE, des professions libérales, des cadres des trois fonctions publiques et des entreprises publiques, des permanents politiques, des universitaires de rang A, des intellectuels et artistes. ↩