François-Xavier Roucaut analyse le macronisme à la lumière de l’État libéral de Fukuyama et ses impacts sur la politique française, une plongée profonde dans la dialectique de notre siècle.
Vu de France, Emmanuel Macron est un phénomène français, l’enfant disruptif et bravache du dégagisme, le chantre lyrique et verbeux d’un pragmatisme dépassant les clivages politiques, tout autant qu’un destin bonapartiste s’inscrivant dans cette passion si française pour la verticalité du pouvoir. Vu d’ailleurs, pourtant, le macronisme semble moins tenir de sa figure d’incarnation, que d’être la boutique locale de l’État libéral, cette téléologie politique qu’appelle de ses vœux Fukuyama, et qui a pour berceau l’Amérique. Donnant raison à Marx, l’ « infrastructure » de la globalisation marchande, qui associe l’internationalisme de l’économie mondialisée, à l’individualisme de l’économie ubérisée, a imposé en Occident une « superstructure » imprégnée de la pensée libérale nord-américaine.
Et comme Mitterrand a su le faire en son temps avec le socialisme, Macron a eu le talent de chevaucher cette force politique qui domine notre époque, devenant, pour la France, la main visible de la « Fin de l’Histoire » libérale.
Selon Fukuyama, l’État libéral repose sur l’alliance entre la droite économique et la gauche sociétale, dans un dépassement du clivage classique droite-gauche, qui voyait ces deux composantes s’affronter, associées à leurs doubles respectifs, la gauche économique et la droite sociétale. Par ailleurs, l’État libéral qui est fondé sur le principe de l’individualisme, s’est imposé, grâce à la globalisation, à cette nation pourtant ontologiquement collectiviste qu’est la France. Dès lors, ces deux collectivismes antagonistes de la vie politique française, qui fondaient l’alternance droite/gauche, le socialisme et le gaullisme, se sont entièrement dévitalisés, n’ayant plus leur place dans le nouveau monde de cette « superstructure » libérale. L’avènement de l’État libéral est enfin à l’origine du divorce entre des élites, devenues individualistes, et ayant épousé les bienfaits du logiciel libéral, et des peuples, restés collectivistes, qui en subissent les effets délétères.
L’État libéral prétend être la forme finale et parachevée de la gouvernance, celle de la Fin de l’Histoire : fédéraliste et post-nationale, universaliste et post-historique, technocratique et post-politique.
Il se pose comme une force centrale, luttant sur sa gauche avec le socialisme, et sur sa droite avec le fascisme. Selon son rationnel, sortir du libéralisme économique expose donc à l’ostracisme et la ruine, et sortir du libéralisme sociétal, à l’oppression et la tyrannie. Pourtant, dans tout l’Occident, l’avènement de cette révolution libérale, a généré en réaction une contre-révolution « illibérale », dans un affrontement qui constitue la dialectique de notre siècle. En effet, comme dans tout régime basé sur la seule idéologie, l’instauration de l’État libéral a créé de profonds déséquilibres sociétaux ; des débalancements dont il est la cause, et dont il prétend être à la fois le remède, constituant cette aporie typique des visions idéologiques. Dans un mouvement de balancier, le contre-mouvement illibéral se définit par conséquent en négatif de l’État libéral, associant un égalitarisme économique supporté par le protectionnisme, au rétablissement des hiérarchies sociétales, abolies par l’État libéral.
Il est populiste et collectiviste, à l’exact inverse d’un État libéral qui est lui individualiste et élitiste.
Macron est l’homme fort de l’État libéral, pour la France, et pour l’Europe. Au-delà de son opportunisme et de sa démagogie, il est probablement convaincu d’incarner le destin inéluctable de la téléologie libérale, et habité par l’ambition d’en être la plus grande figure devant l’Histoire. Comme Louis XVI en son temps, qui ne concevait pas qu’elle abandonne la monarchie, Macron n’envisage pas que la France sorte de l’État libéral, si ce n’est au prix du chaos, qu’il brandit ostensiblement afin de sidérer les Français. Après avoir invoqué les mânes des cahiers de doléances, lors de la crise des gilets jaunes, il convoque donc par cette dissolution les États généraux, dans le but de ramener le bon peuple à la raison, fût-ce sous la menace d’un chantage au désordre.
En somme, Macron voit une révolte, là où gronde une révolution.
François-Xavier Roucaut