Naoufel Brahimi El Mili est l’un des meilleurs connaisseurs de la situation algérienne . Il vient de publier France-Algérie : 50 ans d’histoires secrètes1 Alors que la rue en Algérie se mobilise contre un cinquième mandat du Président Bouteflika, Naoufel Brahimi El Mili voit dans ce soulèvement qui a surpris tant les observateurs que le pouvoir et l’opposition l’échec de la stratégie de banalisation de la maladie du chef de l’Etat algérien.
Arnaud Benedetti – On a le sentiment que les événements qui se sont déroulés en Algérie ces derniers jours ont surpris tout le monde. Est-ce votre analyse et si oui pourquoi cette surprise ?
Naoufel Brahimi El Mili – C’est la grande surprise. Cela montre surtout l’échec de la banalisation de la maladie du président algérien. Déjà en 2014 la campagne électorale a été chahutée par le mouvement Barakat qui signifie « assez ». Mais comme il n’était qu’une centaine de participants cela a été géré par la police, souvent sans tendresse particulière. La maladie de Bouteflika était un secret d’Etat et c’est seulement le jour de l’élection présidentielle que la télévision l’a montré dans un fauteuil roulant. Donc c’est le fait accompli. Pendant cinq ans la banalisation de la maladie du président a été un échec. Le pouvoir et l’opposition pensaient que c’était un fait accompli et que les Algériens disaient, et souvent à juste titre, « le pauvre il est malade mais sa tête fonctionne », ce qui est vrai, j’en ai la conviction mais je n’en ai pas la preuve. Les gens disaient le contraire, c’est un élément de débat. Pourquoi la banalisation de la maladie de Bouteflika est un échec ? Parce qu’il fallait avoir une preuve par l’image et par le son, et les deux réunis c’est compliqué. Le premier grand couac sur sa maladie a eu lieu lors de la visite en Algérie de Manuel Valls alors Premier ministre. Ces équipes ont tweeté l’image de Bouteflika qui n’était pas dans une forme somptueuse. Les Algériens ont protesté parce que cela venait de la France, mais il faut rappeler que la photo tweetée par les équipes de Manuel Valls provenait des photos officielles fournies par l’APS, l’agence de presse officielle algérienne, et l’AFP. L’équipe de Manuel Valls a donc utilisé une photo autorisée. C’était le couac. Ensuite lorsque Bouteflika a déclaré sa candidature par une lettre très bien écrite, les Algériens étaient devant le fait accompli et le pouvoir était convaincu qu’il allait passer en douceur. La manifestation du 22 février a rassemblé un million de manifestants et celle du 1er mars 1,5 million.
Arnaud Benedetti – On a l’impression que non seulement les autorités algériennes ont été prises de cours par ce mouvement mais également que l’opposition ne l’a pas vu venir et semble, d’une certaine façon, comme déconnectée du mouvement.
Naoufel Brahimi El Mili – Il y a deux oppositions algériennes. Il y a celle que j’appelle l’opposition professionnelle, il s’agit de gens qui sont opposants car ils ont reçu une lettre de mission « métier opposant », et une opposition sympathique mais pas représentative et qui ne possède pas de relais. Par exemple le mouvement Mouwatana, qui comprend une avocate et des gens très respectables, a des idées, un discours mais pas de relais donc il a été surpris. C’est la population qui a réalisé que le passage en force était programmé et selon moi ce passage en force va se poursuivre car en Algérie le formalisme remplace la légalité. Selon les textes formels rien n’interdit à Bouteflika de se représenter, il remplit les conditions constitutionnelles, il reste un détail de l’histoire, son certificat médical. Mais Georges Pompidou et François Mitterrand en ont fait des meilleurs. Donc cela devient un détail de l’histoire.
Arnaud Benedetti – Pensez-vous que dans l’imaginaire de ceux qui maintiennent aujourd’hui Bouteflika au pouvoir cette référence française joue un rôle ?
Naoufel Brahimi El Mili – D’une manière subliminale cela joue car la caisse de résonnance la plus observée c’est la France. Mais il y a eu d’autres cas, souvenez-vous de cet ouvrage « Ces malades qui gouvernent » dans lequel on retrouvait de nombreux dirigeants issus du monde démocratique. Donc cela joue. Et j’ai la douce certitude que le dimanche 3 mars Bouteflika va remettre sa candidature. L’idée c’est le fait accompli et la course contre la montre.
C’est là que les risques sont réels car je ne vois ni le pouvoir ni la foule reculer.
Nous avons des éléments si ce n’est de confrontation, au moins d’impasse. Le danger c’est la radicalisation de la rue.
Arnaud Benedetti : Qu’est-ce que la rue aujourd’hui ?
Naoufel Brahimi El Mili – Ce sont des citoyens, jeunes et moins jeunes, dont les revendications sont montées crescendo. D’abord ils s’opposent au cinquième mandat pas à la personne, ensuite ils s’opposent à la personne et aux personnes, le nom du Premier ministre a été galvaudé, et finalement ils s’opposent au système c’est « système dégage ». Le système c’est cette boîte noire qui représente différentes tendances au pouvoir et qui gère le pays à travers des relais. A partir du moment où ont dit « le système dégage » on vise tout un dispositif de gouvernance, ce dispositif de gouvernance à un atout c’est la gestion de la violence. Une rue radicalisée entraîne la violence, lorsqu’il y a violence c’est les autorités qui l’emportent et le pouvoir algérien n’a pas l’habitude de perdre les élections, ce n’est pas dans son ADN. La seule défaite électorale c’est contre le Front islamique du salut en décembre 1991, avec la fin que l’on sait. Depuis le pouvoir n’a connu aucun échec. Il y a vraisemblablement des fraudes, mais contrairement à de nombreux pays africains qui trichent par nécessité, en Algérie on fraude par principe, 60 % ce n’est pas nécessaire, 80 % ça fait plus chic. Donc nous sommes dans ce delta plus ou moins important.
Arnaud Benedetti – Vous êtes en train de dire qu’il faut que le pouvoir algérien soit légitimé à 80 % ?
Naoufel Brahimi El Mili – Oui à une virgule prêt. Je ne vois pas le président se présenter et être battu. Et s’il est élu se sera du 70, 75 %. En face l’opposition est prise au dépourvu, il n’y a pas le temps de produire un plan b à l’autre candidat, c’est trop court sauf à reporter les élections ce que le pouvoir n’aime pas faire. Le report des élections nécessite un dispositif qui n’est pas très chic vis-à-vis de l’opinion internationale, ça peut être l’état d’urgence, ça peut être un directoire comme en 1992 avec le Haut comité de l’Etat qui a moyennement bien fonctionné car on a rappelé une figure emblématique, Mohamed Boudiaf, porteur de la carte n°1 du FLN. Aujourd’hui ce vivier devient très rare car il y a une logique biologique. Le report des élections pose donc plus de problème qu’il n’en règle. De plus si la rue se radicaliserait, je mets le conditionnel car aujourd’hui les choses se passent dans un civisme remarquable, la gestion de la violence serait en faveur du pouvoir car pour le moment il n’y a eu aucune violence policière. Mais le 8 mars prochain, lorsque la population verra que le président est candidat et que sa candidature est validée par le Conseil constitutionnel, là c’est la radicalisation. Cette journée sera importante car il y aura des manifestations officielles, comme la Journée internationale de la femme. Comment conjuguer des manifestations officielles avec des mouvements de rue ? On ne peut pas annuler la Journée internationale de la femme. La cohabitation de deux manifestations est très difficile à gérer en termes d’image alors qu’en matière sécuritaire c’est simple, on met des barrières, des fils barbelés et tout se passe bien.
C’est lors du dernier vendredi du mois de mars et du premier vendredi du mois d’avril que la tension va monter car les gens vont sortir dans la rue et crier.
En France on craint les flux migratoires ce que la rue dit c’est « soit vous partez soit nous partons ». L’annulation du cinquième mandat selon les revendications va fixer la population dans son pays. Donc la menace des flux migratoires est réduite, seules quelques individualités partiront mais se sera tellement discret donc qu’elles seront les bienvenues partout.
Arnaud Benedetti – Parmi les hypothèses que vous évoquez, il y en a une autre, c’est qu’aujourd’hui aucune figure de substitution à Bouteflika, à l’intérieur même du pouvoir, ne s’impose.
Naoufel Brahimi El Mili – Formellement, il faut donner à cette figure de substitution avant dimanche 60 000 signatures, il faut lui confectionner un dossier, ces délais sont un peu courts.
Arnaud Benedetti – Je comprends le délai au moment où l’on parle, mais il n’y a pas eu, depuis un certain nombre d’années, une personnalité consensuelle qui s’est dégagée à l’intérieur du cercle du pouvoir pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de cinquième mandat. Pourquoi n’est-on pas arrivé à ce consensus ?
Naoufel Brahimi El Mili – Nous sommes dans la logique du plus petit dénominateur commun. La valeur refuge c’est la légitimité révolutionnaire. Parmi les gens qui ont fait la révolution, hormis Bouteflika et quelques autres, le plus jeune doit avoir 80 ans. Donc le plus petit dénominateur commun c’est la légitimité des révolutionnaires, le vivier est rare et Bouteflika était le plus petit dénominateur commun.
Arnaud Benedetti – Ce que vous êtes en train de dire c’est qu’aujourd’hui la société algérienne n’a pas d’autres cartes maîtresses pour afficher l’unité du pouvoir que cette légitimité révolutionnaire ?
Naoufel Brahimi El Mili – Pour le moment cela continue. Les gens spéculent sur tel ou tel nom. Mais lorsque l’on voit dans la longue série des présidents algériens il y a toujours eu une carte surprise. A l’indépendance c’était la bagarre entre le GPRA, Ferhat Abbas et Benkheda, on a sorti Ben Bella. En 1965 Boumédiène s’est sorti tout seul, lorsqu’il meurt on a sorti Chadli Bendjedid qui n’était connu que par les amateurs de belotes. Quand Bendjedid part on sort Boudiaf qui n’a pas mis les pieds en Algérie depuis 27 ans. Puis Boudiaf s’en va, dans les conditions que l’on sait, on sort alors Zéroual qui était un général de carrière que personne ne connaissait. A la démission de Zéroual on sort Bouteflika qui est devenu, après 21 années de traversée du désert, une figure inédite. Donc aujourd’hui dire qui sera son successeur c’est avoir l’imagination de trouver une figure inédite. C’est très difficile de spéculer d’une manière nominative. Mais le mode d’emploi est le même. Quelle sera la légitimité de cette figure inédite ? La légitimité des suffrages ? C’est possible. Sortir quelqu’un qui a un discours ? C’est possible. Le pire n’est pas forcément au rendez-vous, mais pour le moment ce qui est au rendez-vous ce sont des tensions qui vont monter crescendo et le pouvoir a ce réflexe de la politique du fait accompli. On l’a vu pendant la décennie noire, on a annoncé le chiffre de 200 000 morts, c’est un chiffre incorrect, le secrétariat d’Etat américain lors du panel onusien en 1998 a donné le chiffre de 65 000 morts, mais peu importe, cette période a montré que le pouvoir algérien savait gérer 65 000 ou 200 000 morts, mais ne savait pas gérer un article bien écrit dans Le Monde.
Aujourd’hui la France et le pouvoir français sont piégés et condamnés au silence.
Si la France défend la rue, on va sortir la main de l’étranger, si la France soutient le pouvoir ce sera aussi contreproductif. Donc le silence de la France arrange le pouvoir mais pas la rue. Parmi les puissances régionales qui comptent il y a la France, les USA mais ils sont très loin et ce n’est pas l’Amérique de Trump qui va s’occuper de ce dossier. Les pays limitrophes comme la Tunisie, qui est un pays fabuleux, il est indépendant car il ne dépend de personne, et le Maroc, rival de l’Algérie depuis la guerre des sables en 1963, ne prendront pas la parole. Peut-être, et c’est là où on trouve cette Europe désunie, que l’Europe du Nord s’exprimera. L’Europe protestante qui a en effet toujours défendu des principes, l’Allemagne par exemple a suspendu ses ventes d’armes en Arabie saoudite. L’Allemagne va t-elle prendre la parole ? Sera t-elle audible ? Va t-elle gêner la France ? Mais si l’Allemagne prend la parole, on va en interne brandir le risque migratoire qui est devenu un fantasme. Je pense donc qu’il n’y aura pas de pression extérieure.
Arnaud Benedetti – Il y a un acteur géopolitique essentiel que vous ne mentionnez pas, c’est la Russie. Quel va être la position sa position ?
Naoufel Brahimi El Mili – En Russie, comme en Chine d’ailleurs, c’est le statu quo. La Russie est le premier fournisseur d’armes en Algérie et elle souhaite que cela continue. Peut-être va t-elle profiter de l’affaiblissement du pouvoir pour obtenir l’escale dans la base de Mers el-Kébir que Boumédiène avait refusé à l’Union soviétique à l’époque. Quant aux Chinois se sont des pragmatiques. La Chine parle affaire mais ne se prononce jamais sur les droits de l’homme et pour cause. Parmi les membres de l’ONU, l’Angleterre à une communauté algérienne qui réside dans ce qu’on appelait le Londonistan, ce n’était pas les meilleurs et les Anglais ont fait avec jusqu’aux attentats. Le meilleur exemple c’est Rachid Ramda, les Anglais ont mis dix ans avant de l’extrader vers la France. Je me souviens de cette déclaration qui a été reprise dans les livres de Claude Guéant, « les Britanniques n’ont pas confiance dans la justice française », venant des Britanniques c’est grand car tout le monde se souvient qu’ils achevaient les indépendantistes irlandais dans les arrières-cuisines.
Nous avons cette configuration internationale qui ne peut être que silencieuse.
Arnaud Benedetti – Cette situation n’est-elle pas finalement aujourd’hui favorable finalement à la solution de continuité ?
Naoufel Brahimi El Mili – Oui car on confond immobilisme et stabilité. On a peur du changement. Le Premier ministre dans un discours prononcé le 28 février a cité l’exemple Syrien, il a trouvé une très belle image en déclarant que la révolution syrienne a commencé par offrir des fleurs aux policiers, donc la Syrie est évoquée. Le secrétaire général de la Centrale syndicale UGTA, tendance FLN, a fait un rapprochement avec le chao libyen. Donc là on parle de stabilité alors qu’en réalité c’est l’immobilisme. Pour la France, l’essentiel de la coopération est acquise c’est la coopération militaire et sécuritaire qui varie d’une coopération a minima jusqu’à une coopération beaucoup plus poussée, cela les arrange.
Depuis François Hollande, et Emmanuel Macron est dans la continuité, la diplomatie arabe de la France est gérée par les militaires.
On trouve les diplomates dans les cocktails et les décisions sont prises par les militaires. Il s’agit d’une image, mais c’est une réalité car les militaires c’est le terrain. Cela s’est accentué avec le G5 Sahel, pour faire bien on met de l’AFD. Après la 28e réunion on débloque 100 000 euros sachant que pour sécuriser ses frontières l’Algérie a débloqué en deux mois l’équivalent de 30 millions d’euros, voilà de quoi on parle.
Arnaud Benedetti – L’une des questions qui hante les chancelleries, notamment la France, est celle des islamistes. Quel est aujourd’hui leur poids politique dans la société algérienne ? Comment se positionnent-ils par rapport au mouvement qui a envahi la rue ? Constituent t-ils, à terme, une menace pour la stabilité de l’Algérie ?
Naoufel Brahimi El Mili – Je ne le crois pas. Le meilleur exemple est Abderrazak Makri le président du Mouvement de la société pour la paix, MSP, qui se réclame des Frères musulmans. Makri a appelé à se joindre à la manifestation d’aujourd’hui, on lui a répondu que si l’on trouvait des pancartes MSP on les détruirait. Depuis Makri est surnommé moquerie, il y a donc un véritable rejet. Pour revenir à l’opposition islamiste, celle-ci s’est diluée dans la société. Les deux grands moments où les gens se retrouvent en Algérie, ce sont lors des mariages et des enterrements. Les enterrements sont plus commodes pour discuter car il n’y a pas de musique. Les deux tiers des conversations portent sur la religion. La société est une société religieuse. Lorsqu’un élu souhaite se faire bien voir il ferme un débit de boissons alcoolisées, les « pour » sont majoritaires, les « contre » minoritaires. J’ouvre une parenthèse sur la résistance islamiste politique au sein du pouvoir. Il y a quelques années, lors de la candidature de l’Algérie à l’OMC, des députés de sensibilité islamiste ont voté une loi, au cours d’une session de nuit pendant le mois de Ramadan, pour restreindre l’importation de vins et d’alcools. Ne pouvant interdire totalement son importation, ils ont voté l’obligation pour les vins et alcool de porter la mention « à consommer de préférence avant le ». Même les députés laïcs n’ont pu s’opposer à cette loi. Le Ramadan, c’est le mois de la spiritualité.
Arnaud Benedetti – Partager vous le point de vue de l’écrivain Boualem Sansal qui pense que la bataille culturelle a été gagnée par les islamistes ?
Naoufel Brahimi El Mili – Il le dit d’une manière militante et idéologue.
La bataille culturelle n’est pas gagnée par les islamistes même s’il y a des avancées.
J’espère et je pense que ces avancées vont atteindre un plafond de verre, car la décennie noire à instaurer un plafond de verre. Il y a des contre-offensives laïques. Par exemple, la ministre de l’Education a fait voter une loi interdisant aux élèves de prier dans les écoles. Je ne partage donc pas complètement le point de vue de Boualem Sansal, son côté idéologue touche à l’alarmisme. Certes, il faut être alarmiste pour se faire entendre, si on est rassurant ce n’est pas vendeur.
Arnaud Benedetti – Vous considérez que la candidature du président actuel est inéluctable et que la rue ne va pas cesser de se mobiliser. On a le sentiment, lorsqu’on vous écoute, que finalement aujourd’hui la question de l’élection présidentielle est quasiment devenue secondaire.
Naoufel Brahimi El Mili – Effectivement, elle est accessoire. Je vais reprendre une phrase qu’on attribue à Roland Dumas. Lorsque François Mitterrand a été élu en 1981 Roland Dumas aurait dit « maintenant les ennuis peuvent enfin commencer ».
Avec le cinquième mandat les ennuis peuvent enfin commencer, je dirais hélas commencer.
Arnaud Benedetti – Quels sont ces ennuis ? On peut imaginer un scénario optimiste c’est-à-dire qu’on va se diriger dans une voie d’une progressive démocratisation de la société, l’autre scénario c’est celui du conflit et de la violence. On a le sentiment qu’il n’y a pas aujourd’hui, mis à part le pouvoir en place, d’autres forces politiques qui soient capables d’incarner une alternative.
Naoufel Brahimi El Mili – Je pari sur le bon sens du pouvoir. Bouteflika réélu, la Constitution sera modifiée comme annoncée et il y a aura un vice-président. Les avantages d’un vice-président c’est que c’est lui qui recevra les ambassadeurs pour les lettres de créance, il n’a pas besoin d’être élu et qu’en cas de vacance du pouvoir c’est lui qui devient président. C’est ce type de transition qu’affectionne le pouvoir algérien. A chaque fois qu’il y a eu un président c’était une transition. Il faut se rappeler que lorsque Chadli est venu c’était la transition mais qui a duré treize années. Chadli c’est le profil de Sadate qui a été mis au pouvoir par les nassériens d’une manière temporaire, puis il les a liquidés. Chadli a procédé à la « déboumédiènisation ». C’est une transition qui a durée treize ans. Il y a donc cette lecture de transition. Et la meilleure transition, qui sera constitutionnelle et institutionnelle, c’est un vice-président. On lui trouvera de beaux bureaux, il aura un statut et un vice-président plaît à la communauté internationale car elle a un interlocuteur. Toute chose égale par ailleurs, le prince héritier saoudien, MBS a plu car on savait à qui parler. C’est un criminel, un tyran, mais cela devient accessoire, l’important étant d’avoir un interlocuteur.
Je suis dans un scénario optimiste : Bouteflika est élu président avec une sortie honorable au regard de l’histoire de l’Algérie, de sa propre histoire et de l’histoire de la révolution, et un vice président qui sera admis par la communauté internationale est nommé. Il reste à travailler sur le profil de ce vice-président qui devra notamment savoir parler à la rue, qu’il soit relativement jeune mais avec de l’expérience c’est-à-dire âgé d’environ 70 ans. Je ne m’aventurerai jamais dans des approches nominatives car lorsque l’on prononce un nom on rentre dans le débat de personnes et on s’éloigne du débat d’idées, mais les compétences ne manquent pas. Je pense qu’on va se diriger vers ce scénario. Le 18 avril Bouteflika va être réélu avec un pourcentage plus qu’honorable, dans la foulée la Constitution sera amendée, puis il y aura le Ramadan et là on va occuper la population avec un grand débat, puis à la fin de l’Aïd un vice-président sera nommé et les gens pourront partir en vacances. A la rentrée on remettra les compteurs à zéro. Le vice-président devra faire un peu le ménage dans la classe politique qui est contestée.
Et l’Algérie ne changera pas parce que l’alternance en Algérie ce n’est pas une alternance politique, c’est une alternance régionale.
Il ne faut pas que le vice-président soit issu de l’Ouest, il y a quelques critères, comme les équilibres régionaux, qui font partie des fondamentaux algériens.
Arnaud Benedetti – La solution qui vous paraît aujourd’hui la plus probable, c’est le maintien de la candidature de Bouteflika, sa réélection et ensuite une transformation constitutionnelle qui permettra de faire émerger une figure qui pourrait succéder au président actuel.
Naoufel Brahimi El Mili – Lorsque Zéroual est devenu président, il voulait avoir son propre parti, on a donc créé le RND. C’est un parti qui nous rappelle les poulets aux hormones, poulets dans le sens auxiliaires de police et hormones dans le sens accélération. Trois mois après sa création le RND a remporté les élections législatives. Aujourd’hui le RND est la deuxième force politique du pays voire parfois la première. Le système algérien à cette possibilité de confectionner un profil de vice-président. Comme en Union soviétique où tous étaient communistes, en Algérie tout le monde était FLN, on a pris dans le vivier FLN et on a transvasé. Il y aura donc de l’ADN FLN, ça restera le socle. Je reste donc globalement positif même si le passage vers le cinquième mandat prévu en douceur se fera en force.
Naoufel Brahimi El-Mili
Docteur en sciences politiques, professeur à Sciences-Po
Spécialiste du Maghreb
- France-Algérie : 50 ans d’histoires secrètes, volume 2, Fayard, février 2019. ↩