Malgré une « Europe sociale » que l’Union européenne a développé, la crise économique et la dette publique ont mis en exergue le déséquilibre entre les dimensions sociale et économique du projet européen.
La cohésion et le progrès social font partie des objectifs de l’Union européenne1. À cette fin – et bien que les politiques sociales relèvent pour l’essentiel du ressort national – l’UE a développé, au fil de l’intégration européenne, un ensemble d’instruments dans le domaine social (assistance financière, législation européenne et mécanismes de coordination des politiques nationales) qui nous permettent de parler aujourd’hui d’une « Europe sociale ». Cette dernière se traduit par un « acquis social »2qui a, pendant des décennies, soutenu un processus de convergence entre les États-membres et a été fondamental pour la poursuite simultanée du progrès économique, d’une part, et du progrès social et de la cohésion, d’autre part.
La crise économique et de la dette publique – ainsi que la réponse qui lui a été apportée, fondée sur l’assainissement budgétaire – a mis en lumière le déséquilibre entre les dimensions économique et sociale du projet européen. Des inégalités croissantes ont été enregistrées depuis le début de la crise, tant au sein de chaque État-membre qu’entre eux. L’Union européenne a cessé d’être une « machine de convergence »3.
Si les États-membres veulent convaincre dans le contexte actuel d’extrême scepticisme et d’indifférence envers l’Europe, il faut qu’elle apparaisse comme porteuse de bien-être pour ses citoyens. Pour cela, les États-membres doivent renforcer la dimension sociale du projet européen, avec un double objectif : limiter les potentiels effets négatifs du marché unique et de la mondialisation sur les modèles sociaux nationaux ; et promouvoir une convergence sociale vers le haut entre les États-membres.
Pour atteindre un « triple A » dans le domaine social, comme le souhaite le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, l’UE doit changer de « logiciel » : la dimension sociale du projet européen doit être horizontale et être donc prise en considération dans l’ensemble des initiatives et politiques de l’UE.
Dans cet article nous partons d’un bref rappel de la construction de l’Europe sociale pour répondre aux questions suivantes : pourquoi l’Europe sociale doit-elle aujourd’hui être renforcée ? ; comment tracer des lignes stratégiques pour une nouvelle Europe plus sociale ? quelles initiatives prioritaires pour atteindre un « triple A » dans le domaine social ?
Une Europe sociale difficile à construire
La construction d’une « Europe sociale » n’était pas une priorité en soi au début du projet européen. Les pères fondateurs estimaient que le progrès social serait le fruit du progrès économique engendré par la création du marché commun. La Communauté économique européenne (CEE) devait ainsi se concentrer sur l’ouverture économique, alors que les États-membres resteraient responsables du développement de leur État providence.
La dimension sociale n’est pour autant pas absente du Traité de Rome, qui prévoit un pouvoir législatif pour la CEE dans certains domaines sociaux considérés nécessaires pour permettre la libre circulation des travailleurs (comme la coordination des systèmes de sécurité sociale et la lutte contre les discriminations). Le Traité permet également la création du Fonds social européen (FSE) destiné à accompagner les reconversions industrielles.
Pendant les premières décennies du projet européen, ces provisions du Traité se sont révélées suffisantes. Cependant, à partir des années 80, cette répartition des tâches est devenue intenable. Le lancement de l’objectif 92 pour la mise en place du marché unique a soulevé des craintes concernant les conséquences sociales destructives d’un approfondissement de l’intégration économique européenne.
Pour neutraliser ces potentiels effets négatifs, en 1986, l’adoption de l’Acte unique européen (AUE) a introduit plusieurs nouveautés dans le volet social du projet européen: la majorité qualifiée a été introduite dans certains domaines sociaux, le dialogue social européen a été reconnu comme une procédure dans la gouvernance de la CEE et la promotion de la cohésion économique et sociale est devenue l’un des objectifs de la CEE (ce qui a été accompagné d’une forte expansion de la politique et des fonds de cohésion à partir de la fin des années 80).
La dynamique lancée par l’AUE a été poursuivie avec l’adoption en 1989 de la Charte européenne des droits sociaux fondamentaux et l’adoption du Protocole social de Maastricht en 1992 (ensuite inclus dans le Traité d’Amsterdam en 1997) qui a notamment renforcé le rôle des partenaires sociaux européens.
Du milieu des années 90 à la fin des années 2000, les préoccupations sociales et de l’emploi sont restées en haut de l’agenda européen. Un nouvel instrument d’intervention de l’UE dans le domaine social – au-delà de l’outil législatif et de l’assistance financière octroyée aux États-membres – a été mis en place. Concernant les questions sur lesquelles l’UE ne peut pas légiférer, les États-membres se sont engagés dans une coordination (non-contraignante) de leurs politiques nationales à travers la « méthode ouverte de coordination ». De plus, face aux défis croissants rencontrés par les États providence nationaux, l’UE a assumé un rôle plus proactif : ses interventions ne visent plus uniquement à protéger les modèles sociaux nationaux face aux éventuels effets négatifs de l’intégration économique, mais aussi à être un catalyseur de réformes nationales dans le domaine social afin de garantir la soutenabilité et renforcer l’efficacité des modèles sociaux nationaux. La Stratégie européenne pour l’emploi (1997) et la Stratégie de Lisbonne (2000) sont les deux principaux exemples de cet engagement de l’UE.
Plus récemment, pour faire face aux conséquences sociales de la crise, l’UE a présenté de nouvelles initiatives dans le domaine social, notamment des initiatives en faveur de l’emploi – comme par exemple la « Garantie jeunes » visant à réduire le chômage des jeunes –, de la mobilité des travailleurs ou encore de l’investissement social.
Il existe donc bel et bien aujourd’hui une « Europe sociale » ; mais cette dernière n’est pas suffisante face aux défis auxquels l’UE est aujourd’hui confrontée.
Pourquoi l’Europe sociale doit-elle aujourd’hui être renforcée ?
Trois arguments majeurs justifient la nécessité de renforcer aujourd’hui le visage social de l’Europe.
En premier lieu, la crise économique des dernières années a eu de fortes conséquences sociales dans de nombreux États-membres (notamment l’augmentation du chômage et du taux de pauvreté, ainsi que la remise en cause de droits sociaux) et a nourri une divergence économique et sociale entre les États-membres. De par sa stratégie de gestion de la crise, l’UE autrefois synonyme de prospérité est aujourd’hui perçue comme porteuse d’austérité. Il est nécessaire de compenser les effets de la crise et ceux des politiques nationales d’austérité par une action plus volontaire au niveau européen en faveur de la croissance durable, de l’emploi et de l’investissement social. La recherche d’un nouvel équilibre entre croissance économique, assainissement budgétaire et progrès social semble non seulement nécessaire mais urgente. Comme le dit Jacques Delors : « Si l’élaboration des politiques européennes compromet la cohésion et sacrifie des normes sociales, le projet européen n’a aucune chance de recueillir le soutien des citoyens européens »4.
Ensuite, une Europe plus sociale est également indispensable pour compenser les effets de l’approfondissement du marché unique. En effet, les quatre libertés de circulation – des personnes, des biens, des services et des capitaux – qu’introduit le marché unique peuvent conduire les États-membres à une concurrence sociale et fiscale. Or, cette intensification de la concurrence intra-européenne pourrait entraîner un « nivellement par le bas » qui ferait des États-membres dont les normes sociales sont les moins protectrices les plus compétitifs en termes de coûts. Ce risque a été accentué par les élargissements de l’UE à l’Europe centrale et orientale qui s’est traduit par de plus grands écarts en termes de niveaux de vie et de normes sociales entre les États-membres de l’UE. Ainsi, les efforts actuels de la Commission européenne pour approfondir le marché unique (notamment dans le domaine du numérique et de l’énergie) doivent s’accompagner d’initiatives garantissant qu’une plus forte intégration ne sape pas les fondements des modèles sociaux nationaux. Un nouveau compromis est nécessaire à l’image de celui qui a été trouvé dans les années 80, quand la politique et les fonds de cohésion ont été renforcés pour compenser la mise en place du marché unique.
Enfin, les États-membres font face à des défis communs et des transformations sociétales qui affectent leur marché du travail et, de manière plus générale, l’avenir même de leur modèle social5. Le vieillissement de la population met en cause l’équité intergénérationnelle et la soutenabilité à long terme des États providence ; le changement technologique et la transformation numérique rendent nécessaire une mise à niveau des compétences des entreprises et de la main-d’œuvre européennes ; le phénomène migratoire et la mondialisation exigent une approche commune au niveau européen fermement axée sur les enjeux sociaux.
Quelle stratégie pour une Europe sociale « triple A » ?
Dans son discours devant le Parlement européen avant le vote sur le collège des commissaires, en 2014, Jean-Claude Juncker affirmait vouloir une Europe sociale « triple A »6. La principale initiative lancée depuis par la Commission pour y parvenir est l’idée d’un « socle européen des droits sociaux », qui s’appuiera sur l’acquis social de l’UE et le complètera. Selon la Commission, ce socle est censé devenir un cadre de référence permettant d’examiner les performances sociales et les résultats en matière d’emploi des États-membres, de conduire le processus de réformes à l’échelon national et d’indiquer la direction à suivre pour renouer avec la convergence dans la zone euro.
Cette initiative est certes la bienvenue et a le mérite de ramener les droits sociaux dans le débat politique européen ainsi que de promouvoir de larges consultations et un dialogue social. Cependant, plutôt que d’apporter de véritables avancées dans le domaine des droits sociaux, il y a le risque que ce socle ne se limite à compiler des normes sociales déjà existantes dans le droit européen ou dans d’autres dispositions internationales7.
Ce « socle européen des droits sociaux » sera ainsi plus ou moins utile selon le degré d’ambition et l’engagement des États-membres qui, pour le moment, ne semblent pas considérer cette initiative de la Commission comme prioritaire. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus qu’elle ne suffira pas, à elle seule, à octroyer un « triple A » social à l’UE. Au-delà des questions problématiques liées à la valeur juridique du socle et au caractère volontaire prévu pour les pays non-membres de la zone euro, il y a un problème majeur concernant l’approche de la Commission.
La mission sociale de l’Union ne peut pas se limiter à la construction d’un pilier social ; elle doit plutôt s’exprimer dans tous les domaines d’activité de l’Union comme une véritable politique horizontale. Cela revient, au final, à mettre en pratique une clause introduite dans le Traité de Lisbonne et restée jusqu’à présent lettre morte. Il s’agit de la « clause sociale horizontale », prévue à l’article 9 du TFUE, qui stipule que toutes les politiques et les actions de l’Union doivent être définies en tenant compte des exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine.
Pour renforcer la dimension sociale du projet européen, il faut donc avant tout que la Commission prenne conscience que les objectifs du plein emploi mais aussi du progrès, de la justice et de la cohésion sociales doivent être portés par l’ensemble du collège des Commissaires et non pas uniquement par le Commissaire responsable de l’emploi et des affaires sociales. La dimension sociale doit nécessairement être horizontale, ce qui veut dire qu’elle doit être intégrée à toutes les initiatives européennes car les politiques sociales sont inévitablement touchées par les politiques suivies dans d’autres domaines notamment la politique budgétaire8ou les politiques de libéralisation du marché, mais aussi les initiatives liées à la mise en place d’un marché unique numérique9 ou de l’énergie10.
Les priorités d’action : convergence, mobilité, capital humain
Dans cette dernière partie, nous traçons des lignes directrices pour des initiatives qui, en appliquant le « comment » présenté ci-dessus, peuvent conduire l’Union vers un « triple A » social auquel elle doit aspirer.
Les initiatives doivent s’inscrire autour de trois priorités : mettre en place une architecture de l’UEM et de l’UE qui garantisse la convergence socio-économique, jeter les bases d’un véritable marché européen du travail qui favorise une mobilité équitable, soutenir les politiques d’investissement social et en capital humain pour une société à la fois plus productive et inclusive11.
Rétablir une convergence socio-économique
Face à la montée en puissance du populisme et de l’euroscepticisme, nourrie par l’accroissement des inégalités et des divergences, le rétablissement de la convergence socio-économique devrait devenir la priorité numéro un de l’UE, à la fois d’un point de vue économique, social et politique.
Dans ce contexte, une application directe du principe de l’horizontalité de la dimension sociale de l’UE pourrait être particulièrement efficace en ce qui concerne la surveillance budgétaire et macroéconomique. Il est impératif de réconcilier les objectifs sociaux et macroéconomiques, et cela doit passer par une réforme du « semestre européen ». Ce rééquilibrage du Semestre européen implique notamment qu’une plus grande attention soit accordée aux déséquilibres sociaux au sein de l’UE. Le tableau de bord des indicateurs sociaux, dans le cadre de la surveillance macroéconomique, doit être plus opérationnel et mieux pris en considération. De véritables analyses d’impact social doivent être développées. L’Eurogroupe ne devrait pas se réunir uniquement en formation « ministres des Finances » mais également dans d’autres formations, telles que « ministres de l’Emploi », pour que les considérations sociales et de l’emploi soient mieux prises en compte dans les débats sur la zone euro.
Ensuite, compléter l’UEM12par la création d’un mécanisme de stabilisation automatique est aussi une condition nécessaire pour faire en sorte que les chocs conjoncturels ne se traduisent pas en déséquilibres structurels avec de fortes conséquences sociales, comme cela a été le cas avec la crise dans la zone euro.
Enfin, alors que le rapport des cinq présidents13esquisse la création d’ « Autorités nationales de compétitivité » pour contribuer à la convergence sur le marché du travail, il est essentiel que ces autorités intègrent, aux côtés de la promotion de la compétitivité et de la productivité, des préoccupations sociales, telles que la qualité de l’emploi et les conditions de travail. Cela illustre, encore une fois, la nécessité d’avoir une dimension sociale de l’UE qui soit prise en considération dans l’ensemble de ses initiatives.
Garantir une mobilité équitable
La libre circulation des personnes est l’un des résultats les plus tangibles du projet d’intégration européenne pour les citoyens. La mobilité intra-européenne pose néanmoins un ensemble de défis. D’une part, le taux de mobilité de la main-d’œuvre au sein de l’UE reste limité, alors même qu’une mobilité plus forte contribuerait à la stabilité de la zone euro et permettrait de résoudre le déséquilibre géographique entre l’offre et la demande d’emplois au sein de l’UE. D’autre part, il faut bien tenir compte des difficultés que peut poser la mobilité intra-européenne, tant pour les pays d’accueil que pour les pays de départ.
L’UE doit avoir une stratégie ambitieuse visant à créer un véritable marché du travail européen basé sur une mobilité équitable. Une mobilité plus équitable implique notamment deux priorités.
Premièrement, il faut garantir le respect des règles communes concernant la libre circulation des personnes. Cela est particulièrement important pour les travailleurs détachés, où les cas de fraudes et les situations illégales abondent et créent des tensions dans les pays d’accueil. Il faut renforcer l’échange d’informations et la coopération administrative entre les pays et réfléchir à la possibilité, comme l’a suggéré l’ancien commissaire européen Michel Barnier, de créer une agence européenne d’inspection du travail. Même si le tourisme social et le dumping social en Europe restent des phénomènes assez limités, il est nécessaire de mettre en place une action politique sérieuse à la fois pour empêcher que ces phénomènes ne s’accentuent et pour relancer un narratif positif en faveur de la mobilité intra-européenne14.
D’autre part, garantir une mobilité équitable implique aussi de tenir compte des inconvénients de la mobilité pour les pays de départ. Aujourd’hui, de nombreux pays d’accueil s’inquiètent de l’impact des citoyens mobiles de l’UE sur leur État providence national, alors même que l’impact de la mobilité sur l’État-providence du pays de départ est pratiquement absent du débat.
La perte de travailleurs, souvent jeunes et qualifiés, constitue d’abord une perte de productivité et compétitivité ; ensuite, avec moins de cotisants, la soutenabilité des finances publiques est aussi mise en danger. Cet enjeu mérite, au moins, autant d’attention que celui des défis posés par la mobilité intra-européenne pour les pays d’accueil.
Soutenir une politique d’investissement en capital humain
Nul ne pourra nier que dans de nombreux pays, au cours des dernières années, les dépenses sociales et les acquis sociaux ont été considérés comme des variables d’ajustement face aux impératifs budgétaires et aux exigences de compétitivité. Dans un tel contexte, de nombreuses voix se sont prononcées en faveur d’un « pacte d’investissement social »15 en Europe visant aussi bien à apporter une réponse à l’impact de la crise sur les politiques et budgets sociaux qu’à promouvoir une modernisation des États providence nationaux. La Commission a d’ailleurs adopté en février 2013 un « Paquet investissements sociaux » en défendant que les données montrent que « dans les États-membres qui s’emploient à investir dans le domaine social, la population est moins exposée au risque de pauvreté et d’exclusion sociale et jouit d’un meilleur niveau d’instruction, la situation de l’emploi est meilleure, les déficits sont plus bas et le PIB par habitant est plus élevé »16. Cependant, le caractère non contraignant des recommandations inclues dans le paquet et le manque de soutien financier ont clairement limité l’impact de cette initiative.
Il existe aujourd’hui des écarts très importants entre les États-membres en ce qui concerne leurs politiques d’investissement en capital humain (service à la petite enfance, politique d’éducation, politiques actives de l’emploi, etc.). Dans ce domaine, l’UE peut et doit viser une convergence vers le haut entre les pays.
Une action européenne en faveur de l’investissement social permettrait de soutenir un changement de paradigme dans les pays où ce changement n’a pas encore eu lieu. Il faut une prise de conscience de la valeur économique des « dépenses » sociales : de leur impact sur la productivité grâce à une main-d’œuvre plus qualifiée et motivée et sur les recettes publiques grâce à un marché du travail plus inclusif17.
La Commission doit promouvoir la coopération et l’échange de bonnes pratiques entre les États tout comme leur apporter un soutien technique afin d’introduire des réformes qui permettent de moderniser les modèles sociaux nationaux. L’adoption au niveau européen de la Garantie pour la jeunesse – qui s’est inspirée d’une initiative similaire qui a porté ses fruits en Finlande – est un bon exemple du type d’initiatives que l’UE peut promouvoir dans son agenda pan-européen pour l’investissement social. Ce paradigme de l’investissement social doit aussi être pris en considération dans l’allocation des fonds européens et dans l’application du Pacte de stabilité et de croissance. Une réflexion plus approfondie devrait être engagée sur la faisabilité d’une règle d’or pour l’investissement social, qui permettrait d’exclure du calcul du déficit public certaines dépenses sociales.
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L’Union a progressivement développé un acquis social qui a, pendant des années, soutenu une amélioration des niveaux de vie et une convergence économique et sociale au sein de l’UE. La crise économique, l’approfondissement du marché intérieur et des profondes transformations sociétales telles que la mondialisation, la migration, l’évolution technologique et le vieillissement de la population exigent maintenant une nouvelle et plus forte stratégie au niveau européen pour renforcer le visage social de l’Union. L’approche de l’UE aux objectifs sociaux ne peut pas se limiter à un « pilier », il doit avoir une dimension horizontale et devenir partie intégrante de toutes les politiques et initiatives de l’UE, dans le respect du principe de subsidiarité. Des actions politiques concrètes pour rapprocher l’Europe d’un « triple A social » ne sont pas hors de portée, mais semblent politiquement difficiles à être acceptées dans un avenir proche, en dépit de leur nécessité et de l’urgence. Rétablir la convergence socio-économique grâce à un semestre européen plus équilibré par exemple, ou un nouvel élan pour une mobilité intra-européenne plus équitable, ou encore une stratégie d’investissement en capital humain, pourrait donner à l’Europe les fondations pour réussir dans son mandat « social ». Les progrès dans ce sens seront lents car ils requièrent une confiance mutuelle entre les membres de l’UE et la volonté de faire des progrès dans le partage des risques. L’acquis social de l’UE continuera très probablement à progresser très lentement, plus lentement que ce que les circonstances exigent. Un changement d’approche, reposant sur une dimension sociale horizontale, est cependant entre les mains de la Commission et pourrait donner un sens à l’appel du « triple A social » pour l’UE.
Sofia Fernandes
Chercheur senior à l’Institut Jacques Delors
et
David Rinaldi
Chercheur au Centre for European Policy Studies (CEPS) et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors
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- Voir article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. ↩
- Pour un récent compte rendu des développements de l’acquis social en Europe, voir Commission européenne, « The EU Social Acquis », SWD(2016) 50 final, mars 2016. ↩
- Vandenbroucke et Rinaldi, « Inégalités sociales en Europe – Le défi de la convergence et de la cohésion », Policy Paper n°147, Institut Jacques Delors, décembre 2015. ↩
- Voir la préface du rapport « Un nouvel élan pour l’Europe sociale », Institut Jacques Delors, Études & Rapports n°108, février 2016, page 7. ↩
- Pour une vue d’ensemble sur les défis actuels touchant les États providence en Europe, voir Begg, Mushövel et Niblett, « The Welfare State in Europe: Visions for Reform », Chatham House, Rapport d’introduction du projet Vision Europe, 2015. ↩
- Discours du président Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen lors de son élection : « Je voudrais que l’Europe ait le « triple A » social : le « triple A » social est aussi important que le « triple A » économique et financier », Strasbourg, 22 octobre 2014. ↩
- À ce sujet, voir les commentaires de Daniel Seikel, 24 mars 2016, et Anastasia Poulou, 27 mai 2016, sur www.socialeurope.eu. ↩
- Voir Vanhercke, Zeitlin et Zwinkels, « Further Socializing the European Semester: Moving Forward for the « Social Triple A »? », Observatoire social européen, décembre 2015. ↩
- Sur les effets de la transition numérique sur le marché du travail, voir Roland Berger, « Les classes moyennes face à la transformation digitale – Comment anticiper ? Comment accompagner ? », Think Act, Beyond Mainstream, octobre 2014, et Colin, Landier, Mohnen et Perrot, « Économie numérique », Les notes du conseil d’analyse économique, n°26, Conseil d’analyse économique, octobre 2015. ↩
- Voir par exemple Pye, Dobbins, Baffert, Brajković, Grgurev, De Miglio et Deane, « Energy poverty and vulnerable consumers in the energy sector across the EU: analysis of policies and measures », Insight Energy Policy Report, avril 2015. ↩
- Voir Rinaldi, « Un nouvel élan pour l’Europe sociale », Institut Jacques Delors, Études & Rapports n°108, février 2016 ; Vanhercke, Zeitlin et Zwinkels, « Further Socializing the European Semester: Moving Forward for the « Social Triple A »? », European Social Observatoire, décembre 2015 pour des propositions concrètes sur la reforme du Semestre européen. ↩
- Pour une analyse de différents scenarios de réforme de l’UEM voir Fernandes et Maslauskaite, « Renforcer l’UEM : comment maintenir et développer le modèle social européen ? », Études & Rapports n°101, novembre 2013 ; pour une révision des différentes options d’assurance chômage européenne voir Beblavý, Marconi et Maselli « A European Unemployment Benefits Scheme: The Rationale and the Challenges Ahead », CEPS Special Report, septembre 2015 ; pour une proposition de transferts fiscaux liés au output gap voir Enderlein, Guttenberg et Spiess, « Une assurance contre les chocs conjoncturels dans la zone euro », Études & Rapports n°100, septembre 2013. ↩
- Rapport des cinq présidents « Compléter l’Union économique et monétaire européenne », Commission européenne, 2015. ↩
- Voir Fernandes, « L’accès aux prestations sociales pour les citoyens mobiles de l’UE : « tourisme » ou fantasme ? », Policy Paper, Institut Jacques Delors, juin 2016 et Andor, « Fair Mobility in Europe », Social Europe Occasional paper, Fondation Friedrich Ebert, janvier 2015. ↩
- Voir par exemple Frank Vandenbroucke, Anton Hemerijck et Bruno Palier, « The EU needs a social investment pact », Opinion paper n°5, Observatoire social européen, mai 2011. ↩
- Commission européenne, « Investissements sociaux : la Commission encourage vivement les États-membres à mettre l’accent sur la croissance et la cohésion sociale », IP/13/125, février 2013. ↩
- Voir OCDE, « Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous », rapport OCDE, Paris, 2015 et Hemerijck, 2012, op. cit. ↩