Par rapport à 2022, le premier tour des élections législatives s’est traduit par une forte poussée du vote Rassemblement national, porté par le score de la liste menée par Jordan Bardella aux européennes. Grâce à l’alliance avec Éric Ciotti, le parti lepéniste a pu renforcer sa dynamique, en arrivant plus de cinq points (33,15 %) devant la gauche unie sous la coalition du Nouveau Front Populaire (27,99 %), et la coalition présidentielle Ensemble pour la République (20,04%).
Le paysage politique est largement dominé par trois grands blocs, tous fondamentalement et idéologiquement opposés. Dans un contexte de forte mobilisation ayant mené à plus de trois-cents triangulaires lors des résultats dimanche soir, l’hypothèse d’une majorité absolue du RN et ses alliés a mené à de nombreux désistements des candidats de gauche et macronistes. Le parti peut-il toujours rêver de Matignon ?
444. C’est le nombre de circonscriptions où le RN et ses alliés Les Républicains à droite avec Éric Ciotti se retrouvent qualifiés au second tour. Ils parviennent même à se hisser en tête dans 297 des 577 d’entre elles. Les temps ont rapidement changé, notamment lorsque l’on se souvient qu’il y a seulement deux ans, le parti réunissait 18,68 % des voix au niveau national et se retrouvait qualifié dans – seulement – 208 d’entre elles. Une progression nette et impressionnante.
L’autre performance à souligner est l’élection dès le premier tour de 39 des candidats du RN et alliés. En prenant en compte les désistements, notamment dans les départements où une victoire est presque impossible sans des configurations de triangulaires, l’hypothèse d’une majorité absolue devient moins crédible qu’avant le premier tour. Il faudrait une démobilisation massive des électeurs de ses adversaires, notamment ceux du NFP. Seulement, la situation actuelle laisse suggérer l’inverse. La campagne du second tour étant massivement centrée sur la possibilité de voir Jordan Bardella à Matignon, imaginer l’absence d’un vote barrage venant de la gauche relèverait presque de l’ignorance. En revanche, les électeurs macronistes pourraient plus faire pencher la balance en faveur du parti nationaliste. Dans des duels opposant le Rassemblement national à un candidat de La France insoumise, les électeurs d’Ensemble pourraient nettement plus se reporter sur le candidat RN, par rejet de la figure politique qu’est Jean-Luc Mélenchon. D’après Odoxa, selon 81 % des électeurs, le fondateur de LFI serait un handicap au NFP. Ce refus dans l’opinion de la figure de la gauche radicale pourrait pousser les centristes à se retrancher dans un vote RN, ou dans une logique de “ni-ni”, même si les candidats en face sont issus du PS ou de EELV. Dans un sondage OpinionWay – réalisé avant le premier tour – le RN était donné gagnant dans tous les cas de figure testés en duel. Face à la gauche unie, les candidats étaient donnés – en moyenne – à 55 %, et à 54 % face à la coalition présidentielle. Le front républicain s’est fortement dégradé depuis 2022, particulièrement lors des législatives.
L’incertitude plane sur un autre aspect. Les électeurs obéiront-ils aux consignes de vote ? Dans un sondage Elabe, 74 % des Français pensaient ne pas les respecter, dont 70 % des sympathisants Ensemble et 53 % des électeurs NFP. Les désistements contre le RN pourraient pareillement être mal perçus. Selon Odoxa, 38 % des Français souhaitaient que les candidats Ensemble arrivés en troisième position se maintiennent au second tour. Seulement 29 %, soit à peine plus d’1 électeur sur 4, demandait un désistement en faveur du NFP pour faire barrage au RN. Cette désobéissance des cadres à l’égard des électeurs pourraient mener ces derniers dans une impasse et dans un refus de choisir entre ces deux blocs. Au final, ces calculs électoraux pourraient – encore – diminuer la confiance des Français à l’égard des politiciens, tout en ayant un RN qui gagnerait encore plus d’importance dans l’opposition.
Maintenant, si l’on voyait les choses d’un autre point de vue, une majorité relative avec le Rassemblement national en tête en nombre de sièges ne serait-elle pas encore plus favorable au parti ? Une des hypothèses envisagées repose sur la création d’un gouvernement de coalition, tout en les excluant. Le parti lepéniste pourrait se servir de cette configuration à l’Assemblée nationale pour achever sa dédiabolisation, prendre le total leadership de l’opposition à droite, tout en se préparant à une éventuelle prochaine dissolution et à la présidentielle de 2027, qui toutes deux seront un boulevard. En réalité, les manoeuvres effectuées ne servent qu’à repousser la victoire du parti, et ce choix pourrait mettre Marine Le Pen à plus de 40 % au premier tour dans trois ans.
In fine, le Rassemblement national serait, quelle que soit l’issue, le grand gagnant de cette dissolution décidée par Emmanuel Macron.
Si le parti venait à obtenir une majorité absolue, cela voudrait dire que la dédiabolisation lancée par Marine Le Pen, lors de son arrivée à la présidence du FN en 2011, a porté ses fruits. Si il venait à arriver en tête d’une solide majorité relative, tout en faisant face à un gouvernement d’union dont ils sont exclus, ils en ressortiraient encore plus renforcés aux prochains scrutins. L’hypothèse la plus plausible semble être aujourd’hui la deuxième. La probabilité de voir Jordan Bardella à Matignon s’éloignerait, bien que pas impossible. En 2022, les sondages créditaient le parti de 25 à 50 sièges, avant d’en obtenir 89 le 19 juin. Si le même scénario se reproduit, la France pourrait être gouvernée par le parti nationaliste.
Clément Macchi
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