Balloté par des vagues plus ou moins menaçantes, sans vision vers une côte salvatrice, cherchant à s’agripper au moindre bois flottant, comment le citoyen en ce début d’été hésitant, va-t-il s’informer avant de faire son choix électoral ? Évitons déjà tous ces « débats » aussi futiles qu’inutiles, qui ne sont qu’apparences de discussions démocratiques ; comme si l’élaboration d’une politique et sa mise en œuvre s’apparentaient à ces simulacres médiatisés !
Oublions vite tous ces commentaires soi-disant autorisés émis par des spécialistes de tout sur tout. Écartons ces vaines polémiques entre individus manifestement inaptes à envisager la réalité, la complexité et la profondeur des enjeux contemporains. Mais, tenter de prendre ainsi du recul, voire de la hauteur, ne vous fera-t-il pas passer pour un misanthrope surtout si vous ne fréquentez pas la fange des réseaux asociaux ? Qu’importe si on peut tirer quelque information pertinente de l’exploration des programmes électoraux.
Puisque les derniers rapports publics remis au Président de la République avant le 9 juin portaient sur une « relance » de la décentralisation, limitons donc la recherche à ce thème-là. N’hésitant pas à contredire les auteurs des deux textes, l’occupant de l’Élysée y a lui-même ensuite fait allusion, se remémorant peut-être son orientation datant du temps (2008-2010) où il fut l’un des rédacteurs de l’oublié rapport « Attali », commandé par N. Sarkozy. À l’époque, il s’agissait de supprimer les départements, maintenant, ce seraient les régions dilatées par la réforme Hollande, comme la grenouille de la fable, qui seraient à réformer ; le constat restant que le « mille-feuilles » territorial est inapte à permettre une administration efficiente du pays.
Qu’en est-il de la prise en compte de cette nécessité dans le programme électoral de l’actuelle « majorité » ?
Elle est évoquée dans un très court passage aux termes aussi contradictoires que significatifs : « Nous simplifierons le mille feuille territorial en poursuivant la déconcentration de l’État dans les territoires et en permettant aux collectivités de réaliser des économies de fonctionnement en regroupant davantage leurs compétences. ». Négligeons l’obsession de la recherche d’économies par les collectivités, imposée part ceux qui n’ont de cesse de creuser le déficit public national ; de même, écartons la vaine quête du Graal de la répartition des compétences. Inutile aussi de s’attarder sur l’emploi banalisé du terme inapproprié de territoires, cache misère dérisoire de l’inextricable désorganisation du pays, résultat de plusieurs dizaines
d’années de réformes conçues sans vision claire à long terme, sans principes directeurs et retenons l’étonnante juxtaposition de deux « idées » : il s’agirait de simplifier le système local en déconcentrant l’État. Étonnant, non ?
Si les mots ont encore un sens – ce dont il est permis de douter, il est vrai – la déconcentration consiste à adapter localement les fonctions et les moyens de l’État central, ce qui n’a n’a pas grand-chose à voir avec la reconnaissance d’un réel pouvoir local exercé par les collectivités territoriales de la République, sauf si on partage la conception qu’en avait le Second Empire débutant, dans son fameux décret sur la décentralisation administrative du 25 mars 1852 : « Considérant qu’on peut gouverner de loin, mais qu’on n’administre bien que de près ; qu’en conséquence, autant il importe de centraliser l’action gouvernementale de l’État, autant il est nécessaire de décentraliser l’action purement administrative ». Par un surprenant retour en arrière, voici une cinquième République à bout de souffle, qui chercherait une porte de sortie ouverte par Napoléon le petit ?
Et puisque le propos nous conduit à nous interroger sur la pérennité de la République actuelle, remarquons que le thème de la décentralisation est effectivement mentionné dans le programme du Nouveau Front Populaire, dans le chapitre intitulé « Vers une 6e République » et, plus précisément comme un moyen d’ « Abolir la monarchie présidentielle dans la pratique des institutions ».
Pourquoi pas et ne boudons pas le plaisir de découvrir là un moyen de rénover une République dans le besoin. Quelle serait alors la solution adaptée ? « Défendre la décentralisation effective en renforçant la démocratie locale dans l’unité de la République »… Un ange (laïc, sans doute…) passe, le temps nécessaire à trouver le sens à donner exactement aux trois membres de la phrase.
Défendre la décentralisation effective ? Contre quoi ? Contre qui ? Par quels moyens ? De quelle décentralisation s’agit-il, si ce n’est pas, on imagine, l’administrative du Second Empire ?
Renforcer la démocratie locale ? De quelle démocratie locale s’agit-il ? Celle que désertent les électeurs, voire les candidats et les élus ? Celle qu’ignorent totalement les media nationaux ? Celle qui fut consolidée par les réformes des années ‘70 et ‘80 qui ont consisté à faire triompher le pouvoir des élus sur celui des citoyens, autrement dit le pouvoir municipal sur le pouvoir local ? Et tout cela dans l’unité de la République… Sans doute la VIᵉ si l’on s’en réfère au titre du chapitre et probablement aussi, à rebours de la tendance actuelle, par le rejet de la multiplication des adaptations et des expérimentations de tous ordres de la Loi nationale qui ne tendent qu’à fissurer, à fragiliser cette unité chérie ?
Mais est-ce bien ce que prônent tous les auteurs et les partisans du programme de cette nouvelle gauche ? Le doute est permis.
Un conseil toutefois, qui mettra du piquant dans les réunions électorales : Que ceux qui s’y rendront interrogent les valeureux candidats de ces deux tendances sur la signification exacte de ces « propositions » qu’ils sont censés défendre, puis appliquer s’ils sont élus.
Quant à la troisième tendance, représentée par ceux qui ne veulent pas s’appeler l’extrême droite, la recherche est vouée à l’échec puisque, en l’état actuel des choses leur programme ne comporte aucune allusion au thème en question.
Une note optimiste quand même en cette période troublée : à l’évidence, pour les principaux partis engagés dans cette campagne électorale bizarre, le pouvoir local n’existe pas. Voilà de quoi conforter ceux qui l’affirment à mots plus couverts et plus policés depuis bien longtemps, dans l’espoir qu’il ne se réveille surtout pas ! N’allez pas donner de telles idées aux citoyens, ils seraient capables de s’en saisir !
Hugues CLEPKENS