Dans son dernier article, Michel Monier analyse les défis contemporains posés par le populisme à notre démocratie et la perte de crédibilité de la Raison.
La démocratie est en danger, sapée par les populismes. Dire du populisme qu’il est un danger pour la démocratie c’est mal mais c’est aussi épouser la vison qu’en avait Marx pour qui le populisme n’est rien d’autre que la réponse au symptôme d’une détresse réelle par une illusion. Face à cette détresse et à l’illusion qui lui répond, le « clan » de la Raison a perdu. Il a perdu parce qu’il a cherché, parce qu’il s’est épuisé, à vouloir expliquer doctement que ça ne va si mal, que la détresse est un ressenti, que ça ira mieux, parce qu’il s’y emploie.
Les populistes ont, eux, retenu et promu la seule détresse. L’écho ne pouvait qu’être fort et l’accord se faire facilement sur ce constat « tout va mal » ! Celui qui reconnaît que tout va mal et dit lutter contre recueille l’adhésion et rend crédible ses promesses les plus impensables, les illusions. Le clan de la Raison, avec son « ça ne va si mal » n’est pas crédible, on le dit hors sol, ses programmes ne sont pas audibles quand l’illusion satisfait l’irraison.
Sûr de son diagnostic et certain de sa trajectoire politique, économique et sociale le clan de la Raison s’enferre dans des démonstrations et explications toujours plus complexes, inintelligibles. Un exemple ? La dette : elle est insoutenable, il faut des réformes, il faut urgemment économiser 10milliards, puis 20, puis encore… Dont acte. Puis vient la dégradation de la notation de la dette souveraine : le même ministre qui chassait les économies déclare alors que « ça ne change rien » ! Quel est le message ? Il faut économiser ou bien tout va « normalement » ? Si tout va normalement pourquoi économiser, pourquoi ne pas continuer à dépenser comme le réclament les illusionnistes… auxquels le ministre a donné l’argument « ça ne change rien » ? Perte de crédibilité du clan de la Raison ! Il en résulte l’affirmation des extrêmes parce que l’illusion prime, crédibilisée par le « ça ne change rien » ministériel.
Un élu de la majorité disait, il y a quelques temps déjà, « nous sommes trop intelligents ». Il n’avait pas tort, les raisonnables sont trop intelligents pour parler simplement, pour parler vrai, trop intelligents pour écouter et comprendre. Ils ont, pour emprunter à JK Galbraith, l’intelligence des satisfaits.
Les « leaders » populistes sont intelligents, eux-aussi, ils le sont pour savoir répondre à l’insatisfaction des individus avec un « demain on rase gratis » dans une cité sécurisée permettant à chacun l’exercice de ses droits sans soucis du droit commun. J’emprunte là à Joseph Fontanet[1] « Il n’y aurait rien à redire si cette préoccupation traduisait, soit la solidarité (…) soit un esprit d’ouverture et de pluralisme. Mais en réalité (…) la place excessive donnée aux minoritaires aboutit à la négation du pluralisme ».
Ce demain populiste n’est qu’un mirage dont la force d’attraction est telle que les « raisonnables » y courent aussi pensant alors remporter le morceau en jouant un improbable « en même temps ».
Le « en même temps » n’est pas un phénomène nouveau, il modernise (!) autant un giscardisme de gauche qu’un libéralisme mitterrandien. Il tente la synthèse entre Liberté(s) et Égalité, toutes deux absolues et finalement oublieuses de la Fraternité. Ces tentatives de synthèse ajoutent à la complexité que des discours bêtement intelligents brouillent encore plus : la place est faite pour le simplisme, pour les populismes qui ne sont rien d’autre qu’un tour d’illusionniste remède miracle à un symptôme de détresse. Les intelligents ont eu la bêtise d’être trop intelligents sans être intelligibles, les autres ont eu l’intelligence d’être « simples ». Le mal est profond, il a conduit à voir mensonge dans l’explication, à refuser les faits auxquels on oppose des croyances. La Raison, forcément complexe, a fait le lit des populismes. Le monde d’après doit ignorer la réalité complexe, les menus plaisirs et les satisfactions de l’instant remplacent le pain et les jeux. Il vaut mieux avoir tort avec les illusionnistes que raison avec la Raison. Amor fati !
Ne désespérons du caractère Gaulois qui, aiguisé par l’esprit des Lumières, retrouvera la raison et remettra de l’ordre dans cet incurable débat entre une Gauche et une Droite[2] qui cesseront de séduire les franges pour entendre la classe moyenne. Alors, redevenues soucieuses, l’une et l’autre, d’une démocratie de progrès, social et économique, pour tous et pour chacun, le mirage séduisant et trompeur des illusionnistes s’effacera.
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale- Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unédic.
Auteur de divers essais il publie « Une histoire économique et sociale, de 1789 au en même temps » édition CRAPS, juin 2024. »
[1] « Le social et le vivant, une nouvelle logique politique », Plon,1977
[2] « Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours »,Jean-Jacques Chevallier, Dalloz,