Majoritairement d’accord pour transformer le président Macron en bouc émissaire, les alchimistes et les apothicaires de la politique française continuent de chercher la potion magique. Ça ne pourra pas durer. La responsabilité devra l’emporter sur les convictions partisanes.
« Personne ne l’a emporté », a écrit Emmanuel Macron dans sa énième lettre aux Français, avant de s’envoler pour le sommet de l’OTAN le 10 juillet. Même si cette affirmation relève du truisme pour qui sait lire les résultats électoraux, son évidence est apparue comme une nouvelle provocation du Président. Sur la base d’une arithmétique implacable mise sous la pression des articles 49-2 et 49-3 de la Constitution, il n’a pourtant pas tort. Ceux qui affirment avoir gagné ne tiendraient pas deux jours à l’Assemblée nationale dans le jeu des acteurs sorti des urnes. Alors, peu importe que le constat élyséen précède un juste appel à la raison et à la responsabilité des dirigeants des partis politiques, Jupiter s’est transformé en bouc émissaire.
Depuis la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a cristallisé contre lui toutes les rancœurs de la société française.
De gauche à droite, il rassemble une grande majorité d’insatisfaits oublieux des réformes non abouties et des incuries qui l’ont précédé à la tête de l’État depuis 40 ans. Tout est de sa faute, puisque l’erreur collective n’est pas coupable.
Les alchimistes de la France Insoumise trompent les électeurs en leur faisant croire qu’ils transformeront le plomb en or gouvernemental. Volontairement soumis au verbe de leur leader chaviste, ils refusent d’admettre qu’ils n’ont pas progressé en nombre de sièges, victimes de leurs excès et de leurs purges comme d’autres le sont de leurs propres turpitudes. Ceux des Républicains canal historique, sous couvert d’un refus des compromissions, remettent à 2027 la révélation de la pierre philosophale. Les spéculateurs du Rassemblement national suivent la même stratégie, mais cachent à Paris les accords conclus à Bruxelles : Avec Orban et Bardella, douze partis souverainistes et d’extrême droite viennent de former le troisième groupe le plus important au Parlement européen.
Les apothicaires comptent et recomptent : au Parti socialiste, pour faire la nique à LFI et aux écolos, on aligne magiquement le plus grand nombre de parlementaires en s’étendant jusqu’au Sénat. Les Républicains seraient beaucoup plus légitimes à faire la même chose puisque le corps électoral, à bien additionner, est plus à droite qu’à gauche. Au centre-droit, la plasticité originelle permettant une grande malléabilité, on pense que les bons comptes pourraient faire de nouveaux amis gouvernementaux, à l’exception de LFI, des écolos et du RN.
Cinq jours après le scrutin, les becs Bunsen sont en surchauffe. Les éprouvettes et les alambics n’ont pas encore livré l’élixir d’amour majoritaire. Alors que le bouc émissaire aura le dernier mot sur la nomination d’un Premier ministre, les alchimistes et les apothicaires préparent leurs petites formules sur leurs petits réchauds franco-français.
Si l’intérêt général vient avant celui des partis, la solution est dans l’invention d’une nouvelle formule : une comparaison avec les systèmes scandinave, allemand, italien et belge permettraient de concocter une potion qui n’aurait pas forcément un goût amer bien que nouveau.
Au-delà des réminiscences de la IVe République qui inspirent des craintes, c’est cette décoction que les Français n’ont jamais bue dans le cadre de la Ve. Il faut sortir des schémas mentaux, être créatif et audacieux.
La culture de la coalition fonctionne dans d’autres pays européens. En Belgique, le roi nomme un informateur, personnalité politique expérimentée chargée de rassembler des informations auprès des différents partis, préalable à la formation d’une nouvelle majorité et d’un gouvernement.
Regardant ce qui fonctionne ailleurs, il n’est pas illégitime que le Président soit à la manœuvre pour proposer une nouvelle recette pendant que les partis politiques restent penchés sur leurs vieux mortiers.
S’ils lisent les défis contemporains ailleurs que dans le marc de café, les alchimistes et les apothicaires, inspirés par Max Weber et tous les tenants de la raison, devraient privilégier l’éthique de la responsabilité sur celle de la conviction, et le sens de l’Etat sur les intérêts partisans.
En 1793, la fureur populaire, animée par des révolutionnaires bourgeois, avait transformé le monarque en victime expiatoire. En 2024, la métamorphose du président Macron en bouc émissaire pour l’instant exonère les alchimistes et les apothicaires de leurs responsabilités. Ça ne pourra pas durer. Dans leurs échoppes et leurs laboratoires, le temps de la décantation est nécessaire, non pas pour trouver la panacée, mais pour parvenir à la sagesse.
Richard Amalvy