Ancrer, développer et enseigner à la démocratie sur le continent africain : tel était le thème que la déclinaison africaine de l’Internationale Démocratique Centriste (IDC-CDI), regroupant plus de 120 partis politiques issus des cinq continents, avait choisi, le 14 juin dernier, pour organiser une ambitieuse conférence au Sénat français, consacrée aux nombreux défis démocratiques qui se posent au continent africain.
Cette rencontre, riche en débats et en échanges, nous a permis de mettre en lumière les problématiques essentielles qui freinent le développement harmonieux du continent africain et de proposer, ainsi, de nombreuses pistes visant à améliorer les conditions de vie des populations, tout en veillant à raviver l’espoir d’une immense partie de la jeunesse africaine, quelque peu orpheline de réelles perspectives démocratiques.
Les défis classiques démocratiques et récurrents de la « bonne gouvernance »
Au cœur de nos denses discussions, la question de la gouvernance a, bien évidemment, occupé une large place. Nous demeurons convaincus, en effet – comme la plupart de nos collègues qui se sont exprimés dans ce sens, au Palais du Luxembourg – qu’en tant que responsables politiques et acteurs des dynamiques politiques et sociétales en cours sur le continent africain, il convient d’amplifier et d’insister sur l’importance d’une gouvernance transparente et efficace, pensée et mise en œuvre comme socle imprescriptible de la démocratie et du développement économique « inclusif ».
C’est ainsi que nous insistons et plaidons pour des institutions fortes, indépendantes et résilientes, capables de résister aux pressions politiques et économiques, garantissant ainsi le respect des libertés fondamentales et des droits de l’homme.
Terrorisme et sécurité : La décentralisation et régionalisation au secours des populations les plus à risque
Le terrorisme, fléau qui ravage plusieurs régions du continent, a également été abordé, notamment au Sahel, dans la Corne de l’Afrique et en Afrique centrale, où il sévit avec une extrême gravité. C’est ainsi qu’il convient d’appuyer sur la nécessité d’une coopération internationale renforcée pour combattre ce phénomène, qui gangrène nos sociétés, de part et d’autre du continent, comme par-delà la Méditerranée, du reste.
Pour y répondre et y faire face, nous ne redirons jamais assez ‘importance de prendre en comptes les solutions locales et innovantes, notamment le renforcement endogène des capacités des forces de sécurité africaines, ainsi que la complémentarité entre action de l’Etat et l’engagement des communautés et élus locaux et régionaux, dans la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent.
Les processus, désormais décennaux, de décentralisation et de régionalisation, visant, de facto et de jure, à un rééquilibrage, à la fois plus démocratique et efficient, dans la dévolution des pouvoirs, remettent, ainsi en cause une trop grande et excessive verticalité du pouvoir. Il convient d’accompagner ce mouvement, en insistant sur la nécessité de renforcer les institutions afférentes, notamment les deuxièmes chambres (Sénat) et conseils économiques, sociaux et environnementaux (CESE).
Changement climatique : Une urgence et une obligation de justice et d’équité pour l’Afrique
Les effets dévastateurs du changement climatique sur le continent africain ont été un autre point crucial de la conférence de l’IDC-Africa. Les conséquences dramatiques du réchauffement climatique, notamment dans la pression mise sur les ressources naturelles, la sécurité alimentaire et l’aggravation des conditions de vie des populations doivent, nous inciter, à mettre en œuvre d’urgence des actions pour atténuer les impacts les plus crisogènes de ce phénomène, certes planétaire, mais qui touche plus « injustement » l’Afrique, peu émetteur de CO2, et au contraire, tributaire des pollutions maritimes, désertification et acidification des sols.
Il convient d’insister, une fois encore, sur un soutien accru et nécessaire de la communauté internationale, et ce, afin de financer des projets de résilience climatique en Afrique.
Lutte contre la pauvreté et les inégalités
La pauvreté et les inégalités persistent en Afrique, constituant des obstacles majeurs au développement. Nous avons, dès lors, insisté, lors de la journée organisée par l’IDC sur l’importance de politiques économiques inclusives et équitables, favorisant l’accès à l’éducation et aux industries culturelles et créatives (ICC), véritables accélérateurs de croissance économique et d’inclusion sociale. Pour ce faire, nous demeurons convaincus de la nécessité de poursuivre la lutte, sans failles, contre la corruption, véritable cancer qui sape les efforts de développement et accentue les disparités sociales, vecteurs d’un hiatus générationnel, territorial, voire ethnique, devenue insupportable, tant vue d’Europe que perçu depuis le continent africain.
Le Fardeau de la Dette : éviter « le deux poids, deux mesures »
Le poids structurel et l’impact conjoncturel de la dette est une autre entrave significative au développement harmonieux des 54 pays africains. Experts, analystes académiques, acteurs économiques et responsables politiques, s’accordent, désormais, en effet, en faveur d’une réévaluation des politiques de prêt et pour des initiatives de réduction de la dette.
Nous préconisons, quant à nous, des solutions innovantes telles que des swaps dette-nature ou des programmes de restructuration qui permettraient aux pays de se libérer du fardeau, parfois infranchissable, de la dette, tout en investissant dans des projets de développement durable.
Rien ne serait pire, en effet, que des pays qui sont sur la voie de leur stabilisation financière et souveraineté, à l’instar du Cap-Vert, de la Mauritanie ou encore du Ghana, ne soient grevées par des logiques d’ajustement structurel. Sans remettre en cause, la logique de cette politique d’ajustement budgétaire imposé par le FMI et la banque mondiale, dont l’objectif vise à éviter le chaos économique, il n’en demeure pas moins que leur efficacité demeure discutable, comme le cas de la Tunisie, vient, hélas, nous le confirmer.
Espoir et perspectives pour une jeunesse africaine désorientée
Malgré ces défis colossaux, la conférence de l’IDC du 14 juin, au Sénat français aura, quand même été empreinte d’un important message d’espoir. Tous les participants ont unanimement reconnu le potentiel immense de la jeunesse africaine, véritable moteur de transformation sociétale continentale. Ces derniers, comme nous, tenons à rappeler l’importance cardinale que constituent les 17 objectifs du développement durables (ODD) à l’horizon 2030, tout comme ceux qui en déclinent, dans le cadre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
En effet, les investissements massifs dans l’éducation, la formation professionnelle et l’entrepreneuriat, notamment, afin de créer, urgemment et massivement, des emplois nouveaux, gages d’opportunités professionnelles, permettant à notre jeunesse, à la fois bouillonnante et foisonnante, avide de réaliser ses aspirations.
Du reste, les jeunes Africains de moins de 25 ans, ne, sont, hélas, encore trop souvent perçu, comme constituant le leadership de demain, mais aussi étant déjà les acteurs clés du changement, aujourd’hui.
Ainsi, incontestablement, l’investissement dans les Sciences, la Technologie, l’Ingénierie et les Mathématiques (STEM), comme le préconise l’UNESCO, est une piste dans laquelle, nous responsables, politiques européens et africains devons accélérer et faciliter.
Une relation franco-africaine à profondément renouveler
Un des points culminants de la conférence aura a été, sans conteste, la réflexion, ardemment débattue, quant à la relation perturbée et brouillée entre la France et l’Afrique. Cette épineuse question prend, également, tout son relief, à l’aune de la mission confiée par le Président de la République française, Emmanuel Macron à notre collègue et compagnon de route, l’ancien ministre et Sénateur honoraire centriste français, Jean-Marie Bockel.
Les propos de ce dernier, à nos côtés, le 14 juin dernier, nous conforte dans l’idée que Paris comprend l’ardente nécessité d’un changement radical de sa part quoique mutuellement bénéfique, qui ne se limite pas à une nouvelle « narration » quant à sa relation spécifique au continent africain.
Il convient, en effet, d’évidence, de procéder à un nécessaire aggiornamento, visant à rénover cette relation pour diverses raisons. Il s’agit de restaurer, en premier lieu, la confiance mutuelle, quelque peu fragilisée, par des réalités politiques mues par un pan-africanisme et souverainisme résurgent et exigeant vis-à-vis des partenaires européens, notamment la France, accompagnant les « saillies » démocratiques que constituent, depuis 2020, les coups d’état militaires au Sahel, au Mali, Niger et Burkina Faso.
Pour y répondre, nous sommes persuadés qu’il convient ainsi de créer de nouveaux outils et mécanismes visant à recréer une coopération diplomatique et militaire, consciencieusement respectueuse de cette nouvelle dynamique civilo-militaire, notamment afin qu’elle soit véritablement égalitaire et mutuellement bénéfique.
Un nouveau partenariat Europe – Afrique mutuellement bénéfique
Ce n’est qu’ainsi qu’une approche de partenariat « gagnant-gagnant » qui promeuve les libertés individuelles, les droits humains collectifs et favorise un développement réellement durable et pragmatiquement résilient face aux nombreux défis qui sont posés aux responsables politiques continentaux et au-delà : à commencer par l’amplification du changement climatique et l’impact durable sur nos territoires et populations ; l’enkystement, hélas durable, du terrorisme, notamment quant à ses racines et causes, qui ne peuvent se limiter à y faire face qu’à travers une démarche sécuritaire, par nature, trop restrictive.
Il en va, aussi des conséquences sociétales et sociales d’une asymétrie économique mortifère, porteuse d’acrimonie de part et d’autre de Mare Nostrum, et ouvrant la voie à une immigration, irrégulière, non régulée et instrumentalisée par des acteurs criminels, œuvrant aux malheurs des nombreux hommes et femmes qui périssent en ambitionnant à une vie meilleure…
C’est pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres évidemment, qu’il convient de traiter les pays africains comme des partenaires égaux, reconnaissant leur pleine souveraineté et leurs aspirations légitimes à un développement autonome et respectueux de l’environnement et des libertés fondamentales que leur confèrent la Charte des Nations Unies de 1945, tout comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, portant sur les fonts baptismaux les ferments de l’unité africaine, à travers la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine de 1963, la Charte africaine des Droits de l’homme et de la démocratie de 1981, le Traité de Lomé en 2000, et celui de Durban, en 2002.
C’est, notamment, à travers une réaffirmation de la prégnance des relations entre l’Union européenne et l’Union africaine que ce partenariat mutuellement bénéfique aux deux continents, européen et africain, devrait se concrétiser.
Il convient de le rappeler, avec constance et insistance !
Ainsi, cette conférence de l’IDC Afrique, au Sénat français, aura eu l’insigne mérite de dresser un état des lieux clair et précis des défis auxquels l’Afrique est confrontée. Elle a également été l’occasion de proposer des solutions concrètes et de raviver l’espoir en un avenir meilleur pour le continent et ses 1,3 milliards d’habitants.
Nous repartons, dès lors, avec la ferme conviction que, malgré les obstacles, l’Afrique a les ressources et le potentiel nécessaires pour surmonter ces défis et construire un avenir prospère et démocratique pour ses populations.
La relation renouvelée entre la France et l’Afrique se doit d’être, dans cette perspective, un modèle « exemplaire » de coopération moderne, ancré dans le respect mutuel et l’intérêt commun, ouvrant la voie à une ère de prospérité partagée.
Luis Filipe Tavares,
Ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Défense du Cap-Vert, vice-président du Mouvement pour la Démocratie (MpD)
Albert Pahimi Padacké,
Ancien Premier ministre du Tchad, Président du Rassemblement national des démocrates tchadiens – Le Réveil (RNDT – Le Réveil)
Emmanuel Dupuy,
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Secrétaire national chargé des questions de défense – Les Centristes