Avec une hyper majorité de 412 députés contre 121 pour le parti conservateur, le peuple britannique a décidé, jeudi 4 juillet 2024, de tourner la page de 14 ans de national-conservatisme en élisant à une écrasante majorité le parti travailliste. En donnant le pouvoir au leader des travaillistes Keir Starmer, les électeurs britanniques ont envoyé un message très clair. Ils ont condamné très fermement des années de mensonges liées au Brexit, les conséquences négatives sur l’économie, les dissimulations du parti conservateur. Ils ont aussi stigmatisé la politique migratoire qui non seulement a été un échec total, mais a été fondée sur les arguments aux forts relents xénophobes et racistes.
Des promesses non tenues
Les travaillistes ont ainsi récupéré pratiquement toutes les circonscriptions du fameux « mur rouge » à dominante ouvrière, qu’ils détenaient depuis le début du siècle dernier, mais que Boris Johnson leur avait ravies lors des élections du mois de décembre 2019, ce qui l’avait conforté au pouvoir après avoir pris la place de Theresa May au 10, Downing Street lors d’une révolution de palais dont le parti conservateur a le secret.
Les premiers ministres conservateurs successifs, surtout Boris Johnson, avaient formulé des promesses toutes plus intenables les unes que les autres, telle que la construction d’une quarantaine d’hôpitaux. L’épisode le plus catastrophique a sans doute été le passage éclair de Liz Truss au gouvernement, laquelle a failli, en moins de 50 jours, ruiner l’économie britannique et les finances publiques. Elle a d’ailleurs été battue dans sa circonscription lors des élections, tout un symbole.
La fin de règne avec Rishi Sunak
L’arrivée de Rishi Sunak n’a pas amélioré les choses. Le Premier ministre qui avait pris la place de Liz Truss, a axé sa politique sur l’immigration en dépensant des milliards de livres sterling dans l’accord conclu avec le Rwanda, qui a été un échec total de surcroît en rupture avec l’état de droit s’agissant d’un pays qui, manifestement, ne présentait pas les garanties nécessaires à l’instruction des demandes d’asile des étrangers qui devaient y être renvoyés. Il a aussi dépensé des millions d’euros en communication institutionnelle sur cette question par le compte X du 10 Downing Street avec le message « stop the boat ».
La politique de Rishi Susak n’a été que de la communication gouvernementale orchestrée mais rejetée par le peuple britannique, car l’immigration n’était pas sa préoccupation principale.
Des surprises de taille
Cette élection néanmoins a réservé quelques surprises de taille. Alors que Keir Starmer a en grande partie éradiqué l’antisémitisme rampant qui existait au sein du parti travailliste, son ancien dirigeant Jeremy Corbyn, comme quatre autres candidats, ont été élus membres de la chambre des Communes, ce qui montre que le confit à Gaza a pesé sur ces élections et que l’électorat musulman n’a pas donné un blanc-seing au nouveau Premier ministre.
Le parti nationaliste écossais subit quant à lui un véritable revers en Ecosse où il ne possède plus que 9 sièges contre 37 au parti travailliste, ce qui a fait dire au nouveau Premier ministre écossais, John Swinney, que l’indépendance de l’Ecosse n’était plus la « priorité » des électeurs écossais. Le scandale du financement du SNP auquel est venu s’ajouter une gestion contestée par celui qui fut Premier ministre pendant environ un an, Humza Yousaf, ont contribué à détruire pour un bon moment la crédibilité du parti nationaliste écossais.
En Irlande du nord, le parti nationaliste partisan d’une réunification de l’Irlande a obtenu 7 sièges contre 5 aux protestants unionistes, ce qui est aussi la confirmation de la montée en puissance de ce parti qui, pour la première fois de son histoire, exerce le poste de Premier ministre de la province.
La droite anti-européenne et xénophobe en embuscade
La droite conservatrice n’est elle-même pas à l’abri de surprises, puisque pour la première fois aussi, le chef du parti eurosceptique ex-UKIPP, Nigel Farage, est lui-même élu député avec quatre autres membres de son parti de la Réforme-UK. Cette élection d’un homme aux penchants d’extrême-droite, xénophobes et anti-européens, pourrait constituer une menace pour l’intégrité du parti conservateur, dont la branche eurosceptique est forte et qui pourrait déstabiliser le parti. C’est pourquoi, certains, au sein du de ce parti, plaident afin que l’élection du nouveau leader se fasse le plus rapidement possible, sans même attendre le mois de septembre ou le mois d’octobre, date du prochain congrès du parti. En tout état de cause, l’élection du président du comité 1922 – qui réunit les députés de base qui ont un rôle stratégique dans le maintien ou non du dirigeant du parti conservateur – devrait avoir lieu dès le mois d’août.
Pas de lune de miel pour Keir Starmer
Les travaillistes n’auront pas le droit de décevoir. La presse, y compris celle qui s’est prononcée en leur faveur, a prévenu : la lune de miel sera de courte durée.
Les attentes sont telles que les Britanniques qui ont placé leurs espoirs en Keir Starmer, voudront des actes concrets, sur le coût de la vie, le prix de l’énergie, l’emploi, le service national de santé, notamment les hôpitaux.
Le nouveau Premier ministre est un pragmatique, mais il a clairement dit, lors de la campagne, qu’il ne disposait pas d’une baguette magique. Ce qui pourrait conduire rapidement à des déceptions, l’urgence étant de réduire l’endettement et contenir l’inflation.
Les premiers pas sur la scène internationale ont en tout cas démontré que la politique britannique vis-à-vis de l’Ukraine ne changerait pas. A l’occasion de la rencontre avec Joe Biden, pour les 75 ans de l’OTAN, une semaine après sa prise de fonction, il a de nouveau mis en avant cette « relation spéciale » avec les Etats-Unis, mise à mal ces dernières années à cause du Brexit.
L’alternance était une nécessité après un pouvoir chaotique de quatorze années qui ont durablement affecté la stature internationale du Royaume-Uni et la cohésion sociale dans ce pays.
C’est pourquoi, lors de son premier discours en tant que Premier ministre au seuil du 10 Downing Street vendredi 5 juillet, Keir Starmer a affirmé qu’il voulait reconstruire le pays « brique par brique ». Un véritable défi après quatorze ans de politique conservatrice.
Patrick Martin-Genier
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