La rentrée politique 2024 s’annonce particulièrement tendue en France. La décision de LFI d’organiser ce 7 septembre une marche pour faire pression sur l’Elysée dans son choix du Premier ministre pourrait représenter un des points culminants de cette crispation. Au nom de la République, et de sa défense, et pour contrer le « coup de force » (dixit LFI) du Président, cette marche illustre la volonté de s’appuyer sur la légitimité d’un mouvement populaire issu de la rue plus que des urnes. L’histoire de France révolutionnaire contient un précédent à cette marche populaire. La question est de savoir si les mêmes conséquences politiques et institutionnelles seront observées dans la France d’aujourd’hui ?
La Concorde avant la tempête
La trêve olympique décrétée par le pouvoir au lendemain de la dissolution de l’Assemblée pouvait autant surprendre que s’expliquer. Du moins, elle permettait à toutes les forces politiques de souffler après un sprint autant imposé que brutal. Elle permit aussi à la grande surprise des observateurs, de découvrir une France à l’unisson, chantant fièrement la Marseillaise et semblant très éloignée de la torpeur politicienne. Cette illusion de la concorde retrouvée fait en réalité face aux difficultés structurelles qui, elles, restent en suspens et au premier titre celles concernant le vote du budget et le déficit du pays.
Les précédents
Aussi, la marche pour République, ce samedi 7 septembre décidée par le groupe LFI à l’Assemblée pour protester contre le refus du Président de la République de nommer Lucie Castets, candidate du Nouveau Front Populaire au poste de premier ministre, n’est pas une première.
Nous sommes à l’automne 1789, la Bastille est tombée un certain 14 juillet. Depuis, la situation à Paris demeure extrêmement tendue. La population parisienne, en grande partie composée d’ouvriers et de femmes des Halles (le marché central de Paris), souffre de la pénurie de pain et de la hausse des prix des denrées alimentaires. Cette crise économique exacerbe le mécontentement populaire et intensifie les tensions sociales et politiques, à un moment où l’Assemblée nationale, établie à Versailles, s’efforce de rédiger une nouvelle constitution.
Le 5 octobre 1789, une foule composée principalement de femmes parisiennes, excédées par le manque de pain et motivées par des rumeurs selon lesquelles la Cour et la noblesse organisaient des banquets somptueux pendant que le peuple a faim, décide de marcher vers Versailles. Ces femmes partent de Paris sous une pluie battante, armées de piques, de fusils et même de quelques canons. Leur nombre est estimé à environ 6 000 à 10 000 personnes. Leur principale revendication est d’obtenir du pain, mais elles demandent aussi que le roi, Louis XVI, et sa famille viennent s’installer à Paris pour mieux percevoir la détresse du peuple. Cette marche sera plus tard résumée par Jules Michelet, grand historien de la Révolution Française, en une formule restée célèbre : « Le peuple va chercher le Roi. ». Nous reste aussi en souvenir des slogans prononcés par la foule ce jour-là, non pas le « Ah, ça ira » (brillamment mis en valeur pendant la cérémonie d’ouverture des JO 2024) mais la volonté d’aller chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », sous-entendu : Louis XVI, Marie Antoinette et leur héritier, dauphin du trône.
À leur arrivée à Versailles, une délégation de femmes est reçue par Louis XVI, qui accepte de distribuer du pain et de ratifier la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ainsi que les décrets d’août 1789 abolissant les privilèges féodaux. Cependant, ces concessions ne suffisent pas à calmer la colère. Dans la nuit du 5 au 6 octobre, une partie de la foule pénètre dans le palais de Versailles, forçant les grilles et envahissant les appartements royaux. Des émeutiers parviennent même à entrer dans les appartements de la reine Marie-Antoinette, qui échappe de justesse à une tentative d’agression en fuyant dans la chambre du roi. La situation devient critique, et le marquis de La Fayette, commandant de la Garde Nationale, intervient en personne pour protéger la famille royale.
Paris à la place de Versailles
Face à l’insistance de la foule, de crainte de troubles plus importants, sachant que le sang a déjà coulé, Louis XVI finit par céder à la pression. Le matin du 6 octobre, il annonce qu’il se rendra à Paris avec sa famille. La foule, triomphante, escorte le Roi et sa famille dans un long cortège jusqu’à Paris, marquant ainsi une victoire symbolique pour le peuple révolutionnaire. Louis XVI et sa famille sont installés au palais des Tuileries (qui deviendra le nouveau centre du pouvoir jusqu’en 1870) sous la surveillance étroite de la population parisienne et des révolutionnaires.
Les Journées des 5 et 6 octobre 1789 marquent donc un tournant majeur dans la Révolution française.
Elles symbolisent le pouvoir croissant du peuple et de ses revendications face à la monarchie absolue.
Ainsi, en forçant la famille royale à quitter Versailles et à revenir à Paris, les révolutionnaires ont fait coup double : rapprocher le roi du centre névralgique de la Révolution, tout en démontrant la vulnérabilité de la monarchie face aux mouvements populaires. La marche sur Versailles a donc remis en question l’autorité du Roi de France, première étape vers l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République.
Et maintenant ?
La marche comme outil politique semble être restée d’actualité.
Qu’elle soit symbolique sous forme de nom choisi pour désigner un parti ou réelle comme celle de samedi, elle garde toute sa représentation à œuvrer à dessiner un destin à une nation. Selon l’expression connue « toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être le fruit d’une pure coïncidence », ou …pas ?
Bertrand Augé,
Docteur en histoire, professeur Eklore Management School.
Frédéric Dosquet,
Docteur en sciences de gestion, Hdr en sciences de l’information et de communication (direction de thèses doctorales), professeur Eklore Management School.