Quelle que soit la nature de la prochaine cohabitation : avec le Rassemblement national ou avec La France insoumise, Emmanuel Macron sera placé, le 8 juillet prochain, sous une forme d’anesthésie politique. Du moins perdra-t-il sa gouvernance absolue : nous en reparlerons en conclusion.
Pour avoir fait l’exégèse des discours de M. Macron depuis sa première élection de 2017 (voir notre livre La Mégalothymia d’Emmanuel Macron, essai de psycho-analyse, Independant published, 2023), le discours introductif du Président à sa dernière conférence de presse est un classique du genre. Il faut rappeler que le président Macron a toujours tenu deux types de discours : un discours commémoratif, bien bâti, bien documenté, et un « discours de tous les jours », pas toujours respectueux de la langue française, souvent décousu et mal articulé.
Le derniers discours préliminaire présidentiel appartient à ce dernier type et présente les caractéristiques susdites. Discours classique donc, et dans la forme et dans le fond, avec toujours la même autosatisfaction que l’on retrouve avec cette formule maintes fois prononcée : « beaucoup a été fait ». Tout juste aura-t-on remarqué sur nos écrans, contrastant avec les discours antérieurs, un visage plus pâle du Président, des traits plus crispés, une assurance « moins assurée » en somme. Il est vrai que les perspectives politiques s’avèrent plutôt sombres, la majorité présidentielle n’ayant pour ainsi dire aucune chance sérieuse d’être reconduite.
Il est certain que pour M. Macron le coup est rude. Être contraint, de fait, à dissoudre l’Assemblée nationale, ce n’est pas rien.
Ce n’est pas rien, quand on se rappelle que le Président s’y était toujours refusé jusqu’à présent, nous disant, sentencieusement, que la dissolution ne réglerait rien, ne ferait que donner la majorité à deux blocs extrêmes ne s’entendant sur rien, le RN et LFI. Or, si nul n’ignore que « seuls les sots ne changent jamais d’avis », l’on sait fort bien aussi que les politiques sont, quant à eux, toujours prêts à changer d’avis.
Mais, l’on ne voit pas pourquoi le pronostic présidentiel émis autrefois serait invalidé le 7 juillet prochain, pourquoi sortirait du vote une majorité puissante capable de gouverner.
Alors, pourquoi cette dissolution aujourd’hui ? Pour éviter l’adoption d’une motion de censure à l’automne prochain ? Par espoir de ramener une majorité Renaissance plus forte à l’Assemblée ? Un geste auto-suicidaire (fut-ce inconscient) ? Toutes ces raisons ne manquent pas de pertinence. Il en est une autre, plus machiavélique – si l’on admet naturellement que l’actuel Président n’a cure ni de la France ni des Français – : créer le chaos (M. Macron adoptant ici la posture du général de Gaulle en mai 1968, dissolvant en faisant peur aux Français : sans moi le désordre est assuré. Pari gagné pour le Général, une Chambre gaulliste introuvable sortant des urnes le 30 mai). Nous nous inscrivons ici, bien entendu, dans l’hypothèse d’une victoire du Rassemblement national aux Législatives. Cette victoire, on le sait – et on le voit déjà avec toute une série de manifestations qui ont lieu en France contre le RN -, entraînerait à coup sûr des troubles importants dans le pays, qui pourraient alors donner l’opportunité au président Macron de déclencher l’article 16 de la Constitution qui offre les pleins pouvoirs au chef de l’Etat (il lui suffit en cette circonstance de consulter préalablement le Premier ministre, les présidents des deux assemblées et le Conseil constitutionnel).
Un autre choix est cependant possible pour M. Macron : laisser le RN gouverner en espérant son échec dans la conduite des affaires, afin de pouvoir dire ensuite aux Français, en dégainant son ego démesuré : « Je vous l’avais bien dit, vous ne m’avez pas écouté, vous ne pouvez que vous en mordre les doigts ».
Pour avoir ensuite, comme n’importe quel politologue, étudié les grands auteurs de la science politique, il nous faut nous résoudre, la mort dans l’âme, à considérer, après Machiavel surtout, que le politique ne poursuit qu’un objectif : conquérir le pouvoir ou le conserver (le plus longtemps possible). Par conséquent, qu’il soit de gauche, de droite ou d’ailleurs, son ressort est d’abord l’ambition personnelle qui s’appuie, pour quelques-uns, sur un zeste de conviction et un sens minimum de l’intérêt général. Pour le reste, chacun le voit : l’essentiel de la vie politique est constitué de mensonges, de trahisons (très à la mode), de manipulations et de marchandages (« j’te file la circo A, tu m’files la circo B »).
Considérons la situation présente après la dissolution. Beaucoup de politiques se voient déjà dans les habits de Premier ministre : Jordan Bardella bien sûr, à droite, Jean-Luc Mélenchon (qui a déjà postulé ce poste auprès de M. Macron en 2022) et François Ruffin (qui s’est dit « capable » d’exercer la fonction) au nom du Nouveau Front populaire, sans parler de Clémentine Autain (la liste devrait s’allonger dans les prochains jours).
Autres exemples de la « démangeaison du pouvoir ». Citons d’abord, le président de LR contesté-exclu-réhabilité par la Justice, Eric Ciotti, qui, trahissant toute la philosophie gaulliste de non-collaboration avec « l’extrême-droite », « offre » aujourd’hui « son » parti à Marine Le Pen (alors qu’il y a encore quelques jours, il rejetait toute idée d’alliance avec qui que ce soit, au nom de la nécessaire « autonomie » de sa formation politique, en échange probablement d’un maroquin ministériel et d’un soutien à sa candidature future à la mairie de Nice contre Thierry Mariani. Citons ensuite Marion Maréchal qui vient de proposer au RN une future union des droites. Voilà une femme qui, après s’être désolidarisée d’Eric Zemmour et de sa décision de présenter des listes autonomes, le 30 juin [elle vient de se faire exclure de Reconquête pour cette raison], tente un « come -back » avec les potentiels vainqueurs (RN) qui la ramèneraient à l’Assemblée nationale en juin ou juillet prochain et peut-être au RN précisément – dont le départ représente sans doute une faute politique majeure).
Occasion de redire cet axiome capital, qu’en politique il n’y a pas d’amis, juste des intérêts (personnels) à assouvir – par tous les moyens quelquefois. L’expression « famille » politique m’a à cet égard toujours fait beaucoup rire !
Mais revenons au discours présidentiel. « Faire barrage aux extrêmes », dit M. Macron à moult reprises. « Extrêmes », c’est vite dit : la sociologie politique a ses exigences sémantiques. Elle ne saurait donc admettre a priori les notions d’« extrême-droite » et d’ « extrême-gauche » pour qualifier respectivement le RN et LFI. Le premier incarne une « droite nationale radicale », le second la « gauche révolutionnaire » (citoyenne). Contrairement en effet au Front national de Jean-Marie Le Pen qui était, dans ses grandes lignes, un parti extrémiste, fondé sur un racisme dogmatique et une haine absolue de l’étranger, le Rassemblement national ne peut « prétendre » à une telle définition (à notre connaissance, à la différence de son père, Marine Le Pen n’a, par exemple, jamais été condamnée pour racisme). D’ailleurs, celles et ceux qui donnent aujourd’hui leur vote à cette formation – dont je rappelle qu’elle est dans « l’arc légal » républicain – le font pour de multiples raisons, souvent étrangères au racisme ou à la haine de l’étranger. Principaux motifs : le dépit, la déception, la colère à l’endroit de l’actuelle majorité et du Président en exercice, accompagnés du désir de voir le pouvoir d’achat et la sécurité enfin s’améliorer.
Dans sa conférence de presse de mercredi dernier, Emmanuel Macron s’est posé en défenseur de la « clarification ». Mais, entre nous, la seule clarification possible eut été qu’il présentât sa DEMISSION de la présidence de la République. Pourquoi ? Parce que, contrairement à une idée reçue, le vainqueur du 7 juillet, RN ou Nouveau Front populaire, n’accèdera pas au POUVOIR mais à une COHABITATION, qui risque d’être compliquée (voir ci-après).
Le nouveau Premier ministre deviendra en effet chef du gouvernement, pas chef de l’État ; il devra donc se soumettre au contre -seing présidentiel pour certaines décisions prises en Conseil des ministres, comme la nomination des hauts-fonctionnaires, faire face à un Président qui refuserait de signer les ordonnances ; il devra par ailleurs accepter une certaine prédominance du Président dans le domaine de la Défense et des Affaires étrangères, et, bien sûr, se soumettre aux règles européennes, notamment sur la question de l’immigration [nous pensons cependant que la réalité du pouvoir tombera, plus ou moins rapidement, du côté du chef de gouvernement].
Certaines cohabitations précédentes se sont déroulées sans grands heurts : Mitterrand-Balladur (1993-1995), Chirac-Jospin (1997-2002).
En revanche la première cohabitation Mitterrand-Chirac (1986-1988) a été plus difficile.Imagine-t-on une cohabitation paisible entre M. Macron et M. Bardella ou M. Mélenchon ou M. Ruffin, la détestation du premier pour les seconds étant forte et constante. Bonjour tristesse !
Qui a oublié le visage grave, fermé du président Mitterrand durant la première cohabitation avec Jacques Chirac en 1986 ?
Alors, elle est où la « clarification » que notre Président présente aux Français dans son dernier discours ?
Les propos du Président Macron tenus précisément lors de sa conférence de presse ou, quelques jours après, au sommet du G7, confirment sa haine obsessionnelle du RN, un parti, explique-t-il à nouveau, « qui sert la démagogie à tous les étages », qui va appauvrir les épargnants, les retraités, tuer l’Europe, qui manque de clarté quant au soutien à l’Ukraine. M. Macron n’épargne pas non plus, selon son habitude, LFI et son chef de file, Jean-Luc Mélenchon, qu’il qualifie d’antisémite et juge responsable de semer et d’alimenter le désordre partout dans le pays. Méprisant, le Président peut dire encore : « J’ai une pensée ce matin pour Léon Blum » (M. Macron considérant qu’avec 200 ou 300 députés LFI, le Nouveau Front populaire est sans doute excessif et exagéré. Aux yeux du Président, il y a donc de « l’indignité » chez les deux extrêmes [les électeurs du RN et de LFI apprécieront !].
M. Macron accuse aussi les réseaux sociaux qui accordent toujours une « prime à l’émotion négative ».
En clair, le Président ne se reconnaît aucune responsabilité dans la crise actuelle. « La montée de l’extrémisme (de droite), c’est partout », explique-t-il. S’il admet tout de même une responsabilité dans la montée du RN, c’est aussitôt pour ajouter que le problème c’est qu’« il n’a pas apporté des réponses assez rapides et radicales ». Traduction : Je n’ai pas fait de mauvais choix, j’ai juste manqué de rapidité et de radicalité. Autant dire : je ne suis pas responsable. M. Macron continue de penser que, pour les Français (qu’il a toujours qualifiés d’impatients), « ça ne va pas assez vite, pas assez fort ». Mais non, monsieur le Président, ce n’est pas cela que nos concitoyens disent, ce qu’ils veulent, c’est une autre direction politique.
Pour le reste, c’est toujours le même mépris affiché pour qui n’est pas lui, la « leçon de morale » du maître à l’élève, le décalage par rapport à la réalité. La défaite de dimanche dernier ? L’expression de la COLERE des Français (sans qu’à aucun moment M. Macron ne s’interroge véritablement sur les raisons de cette colère). Une colère qu’il trouve, au fond de lui, injuste : « Je travaille comme un fou depuis sept ans », déclare-t-il au G7.
Et d’expliquer que les électeurs du RN ont en fait un « sentiment de dépossession ». Sentiment ? Êtes -vous sûr, monsieur le Président ? La dépossession matérielle de millions de Français : 10 millions de pauvres, 5 millions de chômeurs, des centaines de milliers de travailleurs précaires (avec des agriculteurs gagnant 350 € par mois), des retraités avec de toutes petites pensions, des mères célibataires avec de petits revenus, des étudiants faisant la queue aux Restos du Cœur avec des femmes et des enfants, des sans-emplois ou sans-abris, est un fait, pas un sentiment.
Emmanuel Macron ne comprend décidément pas que c’est sa personne autant, sinon plus, que sa politique qui est rejetée (il devrait pourtant le comprendre, les Gilets jaunes le lui ont si souvent dit entre 2018 et 2020). D’où cette déclaration étonnante, encore au G7 : « Dimanche, je l’ai pris pour moi ».
Mais oui, monsieur le Président, c’est bien une défiance personnelle qui vous a été adressée le 9 juin, c’est le sens premier du revers de votre parti, n’en doutez pas. Vous insupportez un nombre croissant de Français.
Certains observateurs disent aujourd’hui que le macronisme, c’est fini ; mais soyons sérieux, le macronisme n’a jamais existé ! L’action politique soit -disant trans-partisane conduite par M. Macron depuis sept ans n’aura été qu’une parenthèse dans l’histoire politique française. M. Macron voulait un dépassement partisan : c’est raté ! … et il est pour partie responsable de cet échec. La « mégalothymia » dont il souffre a rendu en effet secondaire à ses yeux, voire dangereux (inconcevable en effet pour cet homme d’imaginer des leaders Marcheurs charismatiques, concurrentiels donc), secondaire et donc dangereux l’organisation des Marcheurs dans un grand mouvement. M. Macron aura certes contribué à affaiblir les grands partis traditionnels, surtout LR et, plus modestement, le PS, mais sans tuer la bipolarité droite-gauche. Elle se reconstitue, sous nos yeux, en deux grands pôles : un grand « pôle conservateur-national » et un « pôle progressiste, social et écologiste ».
Trop centré sur lui-même, Emmanuel Macron affiche un optimisme indécrottable. Il refuse par conséquent d’entrer dans le jeu de la « politique-fiction » ou de la « cuisine électorale », donc d’envisager une défaite aux prochaines législatives. « Il n’y a aucune fatalité, explique-t-il, je ne crois pas que le pire puisse advenir ». Le « jour d’après », comme il dit, c’est LUI, avec le concours de tous les sociaux-démocrates de gauche comme de droite (main tendue rejetée à de multiples reprises par les deux camps). D’ores et déjà, le Président indique (dans l’hypothèse sans doute d’une victoire de sa majorité) que les projets en cours, abandonnés par suite de la dissolution, comme le projet sur la fin de vie ou le projet de réforme agricole ou bien encore le projet de réforme de l’audio-visuel public, seront repris – le projet sur la Nouvelle-Calédonie serait en revanche abandonné. M. Macron envisage même de nouvelles réformes comme de revenir sur les grandes régions actuelles, sur le millefeuille administratif.
Mais l’hypothèse de la cohabitation étant la plus probable, M. Macron perdra sa gouvernance absolue, sa « toute-puissance » politique par conséquent. Certes, l’actuel Président ne ressemblera pas aux présidents de la IVème République cantonnés à « inaugurer les chrysanthèmes », mais il devra se contenter d’une gouvernance réduite (nomination des hauts-fonctionnaires, représentation diplomatique à l’étranger, usage de l’arme nucléaire). C’est, en effet, le Premier ministre qui, aux termes de l’article 20 de la Constitution, qui « détermine et conduit la politique de la nation ». Et il ne s’en privera pas.
Car, malgré les capacités de résistance qu’on reconnaît à M. Macron, sa mort politique est assurée sur la scène française. Il sera dès lors « l’homme du passif et du passé ». Il lui restera bien sûr la scène européenne pour poursuivre son aventure politique. Président de l’Union européenne, une belle perspective après tout.
Michel FIZE,
Sociologue, politologue
Auteur de LA MEGALOTHYMIA D’EMMANUEL MACRON, essai de psycho-analyse, Independant published, 2023.