Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, rattaché au Cevipof, se penche dans cet ouvrage sur la complexité de la crise de confiance envers le système démocratique actuel, analyse ses multiples dimensions et propose des perspectives d’avenir.
Les propositions de réforme constitutionnelle se sont multipliées au cours des campagnes électorales de 2017 alors même que l’année 2018 marque le 60e anniversaire de la Ve République. Les élections se sont déroulées sur fond d’une crise historique de défiance envers le système démocratique actuel, reflétant un manque de confiance entre les Français et leurs élus. Comment expliquer cette défiance ? Comment renouer et renforcer le lien entre les citoyens et leurs représentants ? La démocratie directe ou la démocratie participative offrent-elles de meilleures perspectives pour améliorer la vie démocratique ?
Les mécanismes institutionnels de la Ve République n’expliquent pas à eux seuls la déliquescence de l’attachement des Français à leurs institutions. Les raisons sont plutôt à rechercher dans l’évolution de la philosophie et de la sociologie du pouvoir. Globalement, explique Luc Rouban, le déclin de la confiance politique qui s’est accéléré depuis les années 1980 résulte d’un double phénomène : la fin du « compromis gaullien » qui agençait l’élitisme de la haute fonction publique et une forme de populisme à travers l’usage régulier de référendums. Le second phénomène pose la question sociologique de la fracture sociale entre les plus diplômés, les catégories sociales les plus aisées adeptes d’un pouvoir vertical qui associe les experts à la mise en œuvre rapide des décisions du gouvernement et les partisans d’un pouvoir horizontal, souvent issus des catégories modestes, qui aspirent à plus de démocratie directe et notamment de référendums.
S’appuyant sur des statistiques et graphiques significatifs, l’auteur démontre comment, au fil des ans, le personnel politique national ou local est de plus en plus marqué par une forte professionnalisation et sa fermeture aux catégories modestes. « Cette tendance oligarchique de la vie politique s’est affirmée sur le temps long de la Ve République contredisant les espoirs placés dans la décentralisation ou la parité pour ouvrir la vie démocratique. Les élections de 2017 ont apporté un rajeunissement et une féminisation très sélective de l’Assemblée nationale devenue élitiste, renforçant la sélection sociale des députés. » écrit Luc Rouban. Une situation qui a contribué à faire progresser la demande de démocratie directe en France et à pratiquer le référendum pour compenser les défauts de la démocratie représentative actuelle. Certes, le référendum propose une alternative claire mais sa pratique est d’un usage délicat : « il se heurte, tout comme le processus parlementaire classique, à la complexité de certaines questions qui ne peuvent être réduites à un choix binaire. Quant au tirage au sort, il renoue avec la vision antique de la démocratie, il reste peu prisé des citoyens et difficile à mettre en œuvre dans les sociétés modernes. » affirme l’auteur.
Il propose, parmi les nouveaux horizons démocratiques, la promotion des expériences participatives témoignant de la volonté d’élargir les pratiques démocratiques au-delà du modèle de représentation traditionnel. Cette évolution exige incontestablement des citoyens l’acquisition d’une vraie culture politique.
« Quelles que soient les réformes apportées aux institutions de la Ve République, elles n’auront d’effet bénéfique sur la confiance et l’intérêt que les citoyens portent à la vie publique qu’à la condition que ceux-ci disposent des connaissances nécessaires et s’affranchissent ainsi de la sujétion oligarchique des professionnels de la politique. La formation civique, trop négligée, reste donc la première des priorités. » conclut Luc Rouban.
Ce livre, extrêmement précis et nourri d’une série de graphiques et données statistiques, de lecture aisée, est tout à fait éclairant des grands enjeux politiques.
Autour de ce thème, il serait intéressant de se reporter également à l’étude de Marie-Anne Cohendet, page 41 à 61, « Une crise de la représentation politique ? » Cités 2004/2 (n° 18) qui écrit notamment : « Loin des hypothèses pessimistes, on peut considérer que, s’il y a crise, ce n’est pas une crise affectant l’existence de la démocratie elle-même, mais plutôt une crise d’adolescence de la démocratie représentative. Avec tout ce que cela comporte d’inquiétant, par la démesure où elle peut conduire, et de rassurant, puisque c’est un progrès décisif vers l’âge adulte. Car, derrière ces problèmes traduisant un désenchantement douloureux, on perçoit clairement une crise d’identité, une prise de conscience et une révolte face à la complexité et aux limites de la démocratie représentative. Or ces phénomènes reflètent essentiellement une plus grande maturité des citoyens qui, pour la plupart, souhaiteraient non pas une remise en cause de la démocratie, mais une démocratie plus réelle ». L’incapacité des politiques à changer notre vie tient surtout à une crise de croissance de la démocratie, et la meilleure compréhension des faiblesses de notre démocratie représentative reflète surtout une crise de conscience des citoyens.
En fait nous sommes toujours en quête d’une démocratie appelée sans cesse à se renouveler et à se reconstruire.
Luc Rouban
La documentation française
Place au débat, 2018
200 p. – 7,90 €