4 scenarii immédiats : majorité absolue pour le RN et une cohabitation baroque impossible à préfigurer ; majorité relative RN, pour une cohabitation épuisante et conflictuelle ; majorité relative du centre et retour à la case 2022 en plus délicat et usé ; majorité introuvable et gouvernements d’union nationale et/ou de techniciens, inédits et apprenants, dont la longévité ne relève pas de la prévision sérieuse – y compris au doigt mouillé.
La VE n’est pas qu’une Constitution
Ainsi le bon fonctionnement des institutions, censé justifier constitutionnellement une dissolution ou un référendum, est-il questionné à court terme. Á moyen terme, comment envisager un statu quo ? Certes, très paradoxalement, avec cette dissolution, la Ve République retrouve un peu de son sens, puisque l’arythmie entre présidentielle et législatives est rétablie – comme au temps du septennat. Si bien que la distinction président vs couple Premier ministre-Assemblée nationale, redevient visible.
Il n’est pas pour autant dit qu’elle soit lisible, si la majorité est relative ou introuvable, avec pléthore de groupes à l’Assemblée et des gouvernements formés au centre – peu anticipés par l’électeur. Rétrospectivement, nous entrevoyons à quel point le régime de la Ve reposait, outre sur la revalorisation du pouvoir en majesté, sur le décalage de la durée des mandats président/député et… sur la bipolarisation de la vie politique : soit, ordre électoral et ordre du système de partis. Ces dimensions étaient des repères pour le plus grand nombre. Quinquennat et stratégie de centrisme polarisé les ont pulvérisés.
La démocratie en jeu
Or la dissolution, si elle rappelle qu’il y a deux types de légitimité nationale – président/assemblée -, ne clarifie pas la configuration du système de partis. L’échec du « macronisme » est ici. Un nouveau clivage opposant deux coalitions de partis de gouvernement n’a pas éclos. Nos institutions peuvent-elles démocratiquement fonctionner sans alternance identifiable à la conjonction opportuniste des centres ? Ou encore, l’état de droit peut-il perdurer, sans partis politiques moins polarisés ? Car la distance et radicalisation idéologiques de « blocs », posent un problème de fond au fonctionnement pluraliste et apaisé des institutions.
Les politiciens populistes font miel de la dénonciation des juges ou de celle des agences de régulation, qui souvent au nom du Droit les contrôlent, voire les sanctionnent. Par ailleurs, la polarisation forge une adhésion au politique épidermique et émotionnelle, charriant son lot de violences symboliques et parfois, physiques. Les réseaux sociaux et certains médias continus ont leur responsabilité – qu’ils dénient – dans ces dérives, pouvant conduire à remettre en cause les institutions et le respect de l’adversaire. La démocratie n’est pas qu’une question de vote, mais une série de procédures définies pour prendre des décisions dans un cadre ouvert et pacifié.
Comment sortir de l’ornière ?
Dans le sillage d’un cumul de crises, pour forger un nouvel ordre, le démiurge élyséen pourrait en cas de troubles graves, déclencher l’art. 16, puis le 11; singeant de Gaulle en 1961 et 1962, il instaurerait la dictature républicaine pour remettre de l’ordre et ensuite, quelques mois plus tard, profitant des crises passées, il engagerait un changement de République. Mais pour aller vers quel régime ?
Si E. Macron est encore au pouvoir, un système à l’américaine serait sans doute privilégié, afin de séparer clairement l’exécutif d’un législatif devenu trop confus, pour soutenir avec fiabilité le gouvernement du pays. Mais l’usage du référendum législatif n’est à priori pas possible en la matière. Seul le coup de force de de Gaulle est passé en 1962 pour instaurer ainsi l’élection du Pr au suffrage universel direct. Il serait sans doute en 2024 une voie impossible, d’autant qu’il s’agirait alors en une fois, de supprimer la dissolution, la motion de censure et le Premier ministre… La révision constitutionnelle pourrait néanmoins être envisagée via l’art.89. Ces hypothèses sont néanmoins peu probables.
Alors, le régime pourrait changer sans mot écrire, et devenir une République parlementaire, le Premier ministre occupant le premier rôle. Dès lors, les législatives deviendraient l’élection phare et le Pr exercerait des pouvoirs nominaux. Nous retrouvons la IIIe République. Ce que nous traversons ressemblerait de très loin, à l’épisode opposant Mac Mahon à Gambetta notamment entre 1877 et 1879 – épisode qui a eu raison de l’usage de prérogatives institutionnelles d’ un président qui sur le papier, était à peu près autant doté que celui de la Ve. Les mois ou années qui viennent, pourraient représenter des dilemmes de cet ordre, pour le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
En deçà d’un tel niveau de criticité, certains parient sur le déroulement d’une cohabitation, ou d’une démission présidentielle, ouvrant une nouvelle période de présidentialisme « ordinaire », et clarifiant la donne pour un temps. Mais dans le cadre du quinquennat, depuis 2002, le fil politique « normal » déroule une succession de dérèglements, dont on ne voit pas ce qui l’interromprait. Or, les crises sont alimentées en partie par les défauts du présidentialisme de figuration.
En fait, il faudrait aux acteurs un grand esprit de responsabilité et le sens du compromis, pour parachever l’évolution post-2017, en tournant le dos au présidentialisme. Les électeurs sont-ils prêts ? Non. Le souhaitent-ils ? Au fond, nous ne le savons pas. Répondre à ces questions demande de refaire de la politique en pensant au lien institutionnel, devenu très fragile. Il s’agit de retrouver le dialogue et de redonner des repères aux citoyens. Peut-être faut-il d’abord reconstruire des partis politiques, nouvelle génération ?
Olivier Rouquan
Politiste
Enseignant en droit constitutionnel – chercheur associé CERSA-CNRS