Les membres des commissions des Affaires étrangères et de la Défense du parlement français ne devraient prétendre pouvoir ne serait-ce que se former un simple avis sur la situation de la Syrie et son traitement par la France sans avoir au préalable non seulement lu et assimilé, mais fait leur, l’analyse objective, exhaustive que le géographe Fabrice Balanche expose dans Les leçons de la crise syrienne, leçons dont il faut bien reconnaître qu’elles n’ont point à ce jour été tirées par l’exécutif.
Avec Balanche, géographe, ce sont en premier lieu des cartes et des dates qui sont montrées, soit une représentation de ce conflit fidèle à la réalité du terrain et des intentions et faits et gestes des protagonistes, non pas d’emblée une approche idéologique comme cela est souvent le cas de la part des diplomates, universitaires et journalistes qui se sont aventurés sur la question sans autres repères que leurs préjugés.
Une grave crise hydrologique et démographique avec les méfaits du libre-échange, une résurgence magistrale de ce qu’on appelle de nos jours le « fait communautaire », où l’on voit qu’entre chiites hétérodoxes (alaouite, ismaélien et druze), chiites duodécimains, chrétiens, kurdes et arabes sunnites, seuls ces derniers ont pu durablement appartenir au groupe des rebelles tandis que les premiers sont demeurés et demeurent loyaux envers le gouvernement de Damas. L’auteur insiste sur la vision irénique, biaisée que les politiques et les médias français ont constamment projetés sur des entités comme l’ASL (Armée syrienne libre, armée baudruche à l’importance tant politique que numérique largement surestimée et qui a disparu comme neige au soleil) ou l’OSDR (Observatoire syrien des droits de l’homme, dans l’orbite des Frères musulmans).
Balanche fustige, citations de Fabius, Juppé et consorts à l’appui, l’erreur globale de raisonnement qui a présidé à la conduite de la politique qui fut (et qui demeure) celle de la France à l’égard (plus exactement : à l’encontre) de la Syrie depuis la disparition d’Hafez al-Assad : faire du whishful thinking (‘‘prendre ses désirs pour une réalité’’), une doctrine.
« Kofi Annan, envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie (2011-2012), avait parfaitement compris que le pays allait vers un immense bain de sang si la contestation se poursuivait. Le plan de paix qu’il avait proposé constituait la seule proposition réaliste pour stopper la violence. Les manifestations devaient cesser et le gouvernement s’abstenir de toute répression. (…) En prolongeant le conflit, les Occidentaux et leurs alliés ont tout simplement aidé Bachar al-Assad à rester au pouvoir. »
Objectif, notre auteur fait tout de même figurer dans sa bibliographie des noms comme ceux de Brzezinki et Michel Duclos. Mais il ne pratique le ‘pardon des offenses’ qu’à dose modérée : les livres de Jean-Pierre Filiu n’y figurent pas.
Hubert de Champris