« La poutre travaille encore, laissons-la travailler. Laisser travailler la poutre, c’est bien souvent le moyen de ne pas l’avoir dans l’œil. » Cette métaphore, quelque peu énigmatique, prononcée par Édouard Philippe le 18 novembre 2017, avait pour but de rassurer les cadres de La République en Marche quant à la solidité et la pérennité du projet macroniste. Elle sous-entendait que le travail de redéfinition de l’espace politique engagé par l’apparition de leur mouvement « En Marche » exigeait de faire preuve de patience avant de juger l’ensemble des ajustements qui allaient s’opérer dans les partis politiques traditionnels habitués à l’exercice du pouvoir.
Cependant, à la lumière des résultats du premier tour des élections législatives de 2024, il faut bien reconnaitre que le paysage politique, comme l’avait pronostiqué l’ancien collaborateur d’Alain Juppé, ne s’était pas figé, et malgré la réélection d’Emmanuel Macron, continuait à se recomposer. Or le transept macroniste qui voulait séparer un chœur à Droite et une nef à Gauche pour former les bras de la croix de l’Eglise politique française, souffrait de malfaçons en raison d’un architecte doué pour sermonner en chaire, mais faible en calcul des charges qui s’exerçaient sur son édifice partisan, qu’il aura décidément plus maltraité que bâti.
Les résultats du premier tour des législatives révèlent une réalité incontestable : la majorité présidentielle est rongée par les termites du RN et du NFP. La structure même qui soutenait le pouvoir en place a flanché. Les voix se sont dispersées, et les électorats révèlent une évolution majeure dans la sociologie électorale. Les votes RN et NFP lèvent le voile sur une nouvelle géographie du vote et une sociologie en termes de CSP des électeurs affiliés aux grandes familles dessinées le 30 juin au soir, qui marquera un tournant dans la manière de construire les stratégies politiques des années à venir.
La « poutre macroniste », autrefois symbole de renouveau et de stabilité, est désormais synonyme d’une grande fragilité qui a été exposée au grand jour. Les électeurs ont signifié la fin de cette idylle. La théorie d’un amour qui dure 7 ans trouve une fois encore un argument. Au lendemain d’un second tour encore incertain, du fait d’un Front Républicain ressorti du grenier, dont on ne connait pas la résistance, mais aussi des incertitudes que rencontrent les sondeurs compte tenu d’un scenario inédit, la nouvelle recomposition politique pourrait obliger les acteurs politiques en place à imaginer des coalitions impensables jusque-là. En effet les plans de la Ve République dessinés par de Gaulle et Debré souhaitaient protéger ce bel édifice des secousses sismiques parlementaires permanentes durant toute l’histoire des IIIe et IVe Républiques. A l’instar du tsunami de Fukushima, le mur de protection construit dans un solide granit, celui du scrutin majoritaire uninominal à deux tours, censé protéger le cœur du réacteur de la Ve, a été submergé. Cette situation inédite oblige à reconstruire très vite un espace politique en ordre de marche, pour diriger un pays polarisé, endetté et qui doute de lui-même.
En fanfaronnant sur le travail de la poutre, un temps symbole des effets du macronisme, Edouard Philippe aura détourné le regard de tous dans la mauvaise direction. Il n’a pas vu ou pas voulu voir ses propres fissures se former. Si les classements des leaders politiques (IPSOS) accordent à la macronie les deux premières places (ou presque) à deux anciens Premiers ministres (Edouard Philippe, Gabriel Attal, futur ancien PM) l’effondrement de leur église partisane exigera à partir du 8 juillet de retrouver d’abord leurs deux corps politiques sous des décombres dynamités, dispersés, ventilés. Il leur incombera de trouver un moyen de reconstruire leur narratif politique sur des bases programmatiques et des alliances plus solides.
Jacky Isabello
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact
Photo : Frédéric Legrand – COMEO/Shutterstock.com