Au sortir de 1968, Mauriac pouvait écrire dans son Bloc-Notes : « Je ne crois pas qu’il y ait plus de haine aujourd’hui chez nous qu’au bon vieux temps. La guerre civile y a été froide ou chaude selon les époques, mais perpétuelle ».
La France n’est pas sortie de ce constat. L’incandescence de la campagne-éclair provoquée par la décision subite de dissoudre du président de la République, le bal des élégances sanglantes et dérisoires qui, toutes, se bousculent pour s’auto-matignoniser, la certitude que les débats vont au Palais Bourbon atteindre un paroxysme de violences dont il faut souhaiter qu’elles se borneront à être verbales, tout concourt à agiter le pays quand il l’a déjà trop été dans son histoire.
Cette inclinaison historique au pugilat ne doit certes pas éclipser la responsabilité première de Monsieur Macron et de ses gouvernements successifs dans l’impasse actuelle. A force de mépriser le pays à coups de réformes hors-sol et rejetées par l’opinion, à coups de com en forme de coups de menton, à coups de leçons de morale surfaites, le peuple français n’a jamais depuis bien longtemps été plus divisé. Qui plus est, si la dissolution pouvait s’entendre –il ne faut jamais craindre de donner la parole au souverain-, sa précipitation ne pouvait conjurer le péril d’une explosion du corps électoral, elle l’a au contraire amplifié.
Dans ces conditions, comment réparer la France ? Comment recoudre le tissu social à ce point déchiré ? Deux options s’offrent au fond au président de la République.
Rappelons d’emblée qu’il est seul maître du jeu. Il nomme le Premier Ministre et nul groupuscule politique ne saurait le contraindre à abandonner sur ce point le pouvoir que lui donne la Constitution. L’agitation de l’extrême-gauche est tout aussi vaine que séditieuse. Elle n’imposera rien, pas plus que ceux des LR, qui égarés par leur fringale de maroquins, échafaudent des scénarios abracabrantesques les imposant à la tête d’un hypothétique gouvernement, signe navrant qu’ils ont depuis longtemps abandonné le gaullisme dont ils se revendiquent.
En réalité, aucun groupe, aucune fraction, aucune coalition, même hétéroclite, ne peut prétendre survivre longtemps, faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Tout le reste, l’enchaînement des déclarations péremptoires, qu’on sert aux Français depuis lundi, les négociations théoriques, les coups de fil d’entre-wagons, les dîners cachés ou révélés, tout ceci n’est que l’illustration d’un retour aux pratiques ayant conduit la IVe République à la faillite de l’Etat et que de Gaulle résumait si bien en mai 1953 en condamnant « la série des combinaisons, marchandages, votes de confiance, investitures, qui sont les jeux, les poisons et les délices du système ».
La faillite de l’Etat… Voilà bien le danger qui guette, aujourd’hui comme hier, et les drames sans pareils qu’elle entraînerait à l’heure de la faiblesse de nos finances, des menaces sur notre sécurité, de la flambée sur notre sol du séparatisme islamiste.
Le président de la République, malgré tout ce qu’on lui reproche à bon droit, a donc le devoir de songer moins à l’addition des députés qu’à l’unité de la Nation.
Il peut l’envisager avec ou sans les partis. Avec, c’est-à-dire sous la forme d’un gouvernement d’union nationale, englobant toutes les divisions de l’Assemblée, sur des axes gouvernementaux minimaux. Disons d’emblée que nous ne croyons pas, non seulement à la pérennité mais même à la possibilité de cette hypothèse. Elle a pu advenir en 1944 alors que les partis se partageaient la victoire contre un ennemi commun ; elle ne peut s’envisager en 2024 quand aucun parti ne peut revendiquer la victoire et que tous se tiennent pour des ennemis croisés.
Il demeure donc la solution d’un gouvernement non partisan, à la direction duquel le président de la République veillerait à appeler une femme ou un homme qui ne serait pas parlementaire, un gouvernement usant légalement du parlementarisme rationalisé, veillant à maintenir les grands équilibres sociaux et financiers et permettant, par la neutralité même de son action, d’apaiser les esprits. Un gouvernement composé d’experts reconnus dans leurs domaines de compétences : hauts fonctionnaires, acteurs incontestés de l’action sociale, officiers généraux, grands chefs d’entreprises.
Le pouvoir exécutif leur échappant, les partis crieraient bien entendu au scandale, ils reprennent depuis quelques jours cette vieille habitude à défaut de songer à l’intérêt général. Mais les Français regarderaient ce gouvernement avec curiosité et, sans doute, intérêt. Bien sûr, il pourrait être renversé par l’Assemblée, c’est le droit fondamental de cette dernière, mais ce serait sans conséquences dramatiques immédiates puisqu’aucun camp partisan ne pourrait lui opposer d’alternative majoritaire.
Il s’agirait alors de nommer un autre gouvernement technique en attendant la suite.
Cette suite pourrait prendre deux formes : une nouvelle dissolution dans un an ou un peu plus, pour redonner la parole aux Français et, en laissant le temps à chaque famille politique de s’organiser, lui permettre de participer à une coalition pouvant cette fois-ci devenir majoritaire à l’Assemblée et gouverner selon le choix des électeurs ; ou bien, dans trois ans à peine, l’élection présidentielle, qui rebattra bien évidemment toutes les cartes.
On ne perd jamais rien à chercher à assurer la concorde et la paix civile. Bien sûr, tant de grandes réformes sont nécessaires et urgentes ! Mais faute de majorités possibles pour les conduire, il vaut cent fois mieux assurer sereinement la continuité nationale en attendant que le peuple se donne le temps de trancher, que favoriser le désordre, qui menacerait définitivement notre Nation affaiblie. Dans une période de crise aussi grave, il faut songer d’abord à l’intérêt de la France.
Gilles Platret