« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent. Aussi les institutions passent-elles par trois périodes, celle des services, celles des privilèges, celle des abus. » (Chateaubriand)
Né en 1768, mort en 1848, l’écrivain connaissait son monde. Prise de la Bastille, Bonaparte puis Napoléon, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, enfin Louis-Bonaparte dans les habits de président de la toute nouvelle république : peu d’hommes auront connu autant de régimes dans leur existence.
Quant à Malraux — un homme que Chateaubriand aurait aimé — son jugement des hommes politiques est affûté comme une lame de rasoir : « Les hommes politiques diffèrent des hommes d’État en ce sens que les premiers n’ont que l’illusion du pouvoir tandis que les seconds peuvent espérer le marbre éternel de la postérité » écrit-il. Macron n’a guère de chances d’espérer le marbre éternel de la postérité. Au soir de sa décade présidentielle, la France politique ressemble à une terre inculte, désertique pour reprendre l’image de Chateaubriand, sur laquelle plus rien ne pousse sinon les mauvaises herbes.
À peine le gouvernement Barnier est-il formé que déjà, tremblent ses murs porteurs, d’autant que les inquiétudes légitimes du peuple qui a voté pour rien, alourdit l’atmosphère déjà délétère du pays.
À l’extrême gauche, lieu aride hérissé de cactus, on hurle au déni de démocratie, on en appelle à la Justice (avec un grand J), on prend à témoin le peuple, et pour peu on voit un Mélenchon qui tel la Liberté guidant le Peuple, brandit un bien étrange drapeau où se mêlent couleurs de la République et couleurs de l’Islam. Eh quoi ! Cette gauche extrême, qui a le toupet de se dire vainqueur des élections, aurait-elle oublié qu’elle n’a recueilli que 7 millions de voix seulement ? Elle ferait mieux de faire profil bas face aux quelque 11 millions de suffrages franchement opposés à ce Nouveau Front Populaire qui n’est que leurre et trompe- l’œil, qui n’a plus rien de socialiste, mais toujours autant de staliniens et d’antisémites, le tout sous la surveillance des matons Insoumis. Et cette fausse-couche qu’est la gauche mélenchoniste, pour montrer qu’elle seule, EST le camp du Bien accuse ses opposants de fascisme. Comme dit Sartre : « l’enfer c’est les autres »…
Qu’il existe une extrême-droite hyper-identitaire, antisémite, islamiste même, cela ne fait guère de doute et c’est un point qu’on ne doit absolument pas passer sous silence. Dans les deux camps, il y a des brebis galeuses. Il n’empêche. LFI est la seule formation à rêver d’un troisième tour dans la rue.
11 millions + 7 millions donnent 18 millions. 18 millions d’électeurs cocufiés par 7 millions de macronistes et macro-compatibles. Autant dire qu’en matière de déni de démocratie la macronie n’a rien à envier au NFP. Macron a réussi à nommer le gouvernement le moins représentatif de toute la Vème .
Si Chateaubriand revenait d’entre les morts, il prendrait un air entaché d’ironie blasée. Il en a tant vu ! Emmanuel Macron ? Il ne mérite même pas le surnom de Badinguet. Michel Barnier ? Une pâle copie de Guizot. Mélenchon ? Un soixante-huitard attardé qui se prend pour Louise-Michel. Marine Le Pen ? Une femme qui voudrait changer désespérément de nom. Attal ? Le rôle de Brutus lui irait bien. Hollande ? Encore un qui croit à la réalité de ses désirs.
Le peuple est la seule part de la Nation qui ne vieillit pas malgré les siècles. Les Croquants, si chers à George Sand, sont les Gilets Jaunes d’aujourd’hui.
1830 et 1848 sont des révolutions de régime. Le coup d’Etat électoral que nous venons de subir a ouvert une crise de confiance, ce qui est plus difficile à contrôler. Le peuple ne croit plus en ses institutions. Voter pour quoi ? Voter pour qui ? L’absentéisme sera le pain béni des extrêmes à moins que les extrêmes fassent le plein de leurs troupes auxquelles s’ajouteraient des wagons entiers de mécontents, forcément manipulables. Dans les deux cas le danger est réel.
Macron l’enfant trop gâté n’a jamais été du genre à écouter les grandes personnes. Michel Barnier n’est pas SON premier ministre mais celui qui ne manquera pas de lui mettre une peau de banane dès que l’occasion s’en présentera. Quant à la famille politique du Premier ministre, à force de jouer les équilibristes entre un conservatisme libéral et un ultra-conservatisme identitaire elle risque bien de tomber dans le ravin.
La gauche jauréssienne est morte. La droite gaulliste n’existe plus. Aujourd’hui, seuls les extrêmes font la loi. Chateaubriand nous le dit : nous sommes à la troisième période des institutions, celle des abus.
La Vème République serait-elle en fin de vie ?
Michel Dray